Dans le petit monde de l’AT, nous sommes nombreux, anciens clients, élèves ou amis de Gysa Jaoui, à guetter avec impatience les films de sa fille, Agnès. Retrouverons–nous des éléments de la théorie qui est à la base de notre lecture du monde ? Le sujet de son dernier film en tous cas est au cœur des préoccupations de l’analyse transactionnelle, Eric Berne, Fanita English et Steve Karpman ayant suffisamment montré les liens entre scénario de vie et contes traditionnels.
Le conte dont parle le titre du film, c’est le conte de fées qui nous a été raconté et lu dans notre enfance et qui a contribué à construire entre autres notre représentation de la relation amoureuse. Agnès Jaoui et Jean-Pierre Bacri nous parlent du conditionnement de la rencontre amoureuse, des chemins possibles, de l’infidélité, des déceptions, mais aussi de ce qui donne de la joie : l’amitié, l’entraide, les enfants.
Le film s’intéresse à trois groupes de personnages :
– les enfants qui préparent un spectacle où ils joueront des personnages de contes de fées, sous la direction de la marraine-fée (Agnès Jaoui) ;
– les jeunes gens qui découvrent la séduction et l’amour ;
– les adultes et les parents qui connaissent la suite et les observent, certains avec cynisme, certains avec bienveillance.
Parallèlement le thème sous-jacent de la mort qui nous attend tous sans que nous en connaissions le moment est abordé, la seule piste de consolation possible étant de l’accepter et de se réconcilier avec soi. Ce sujet sérieux est traité sur un mode comique : on y voit un analphabète émotionnel s’adressant à son podologue pour lui soutirer une solution à son angoisse qu’il ne veut cependant pas dévoiler et l’autre essayant de le convaincre de voir un psy tout en lui posant quand même des questions sur son enfance dont il ne veut pas parler. La meilleure thérapie se fait ici grâce au soutien de l’entourage amical engagé collectivement dans la recherche et le sauvetage d’une jeune fille désespérée suite à la perte de ses illusions.
Le sujet central est la rencontre de la Belle et du prince Charmant. Elle est jouée au théâtre dans la pièce des enfants mais les enfants changent le texte : la petite fille qui joue le rôle de la Belle ne veut pas être embrassée ; le garçon qui joue le rôle du Prince respecte cette volonté et en est récompensé. Nous devinons que la voie de l’authenticité est la bonne.
Dans la vie des jeunes gens, la Belle a une fée pour marraine à qui elle confie ses rêves amoureux et ses rencontres. C’est d’abord un musicien, puis le loup, symbole du séducteur cynique. Le conte, en effet, propose aux enfants différentes histoires illustrant autant de voies possibles de la rencontre amoureuse, de ses réussites ou de ses impasses. Les deux pistes suivies ici par la Belle sont celle de « La Belle au bois dormant » et du « Petit Chaperon rouge ». Mais les autres possibilités sont évoquées : Cendrillon (où c’est le garçon qui s’enfuit du bal et perd sa chaussure), Peau d’âne, trop aimée par son père, Barbe bleue qui garde le secret de ses succès féminins, Blanche Neige dont la mère est obsédée par le souci de sa beauté. J’ai trouvé aussi que le prince ressemblait plutôt à Riquet à la Houpe, jeune homme talentueux, intelligent et laid et qui, au début, se voit choisi par la belle sans arriver à y croire et sans que l’entourage lui-même y croie. Ces allusions à l’univers du conte sont amusantes, mais placées dans l’intrigue d’une manière artificielle et un peu forcée.
L’histoire ne s’arrête pas à la rencontre de celui ou celle avec qui on va fonder une famille comme c’est le cas dans la plupart des contes, elle parle de l’après : les erreurs, les infidélités illustrées par la phrase ambiguë qui clôt le film : « Ils vécurent heureux et se trompèrent beaucoup ». La leçon du conte selon les auteurs n’est pas dans l’esprit des contes ce qui donne au film un caractère mélancolique.
L’intérêt de ce film n’est pas dans l’émotion esthétique : la plupart des décors sont laids, à l’image de la représentation donnée par les enfants de l’école primaire, de la maison de la fée et de l’affiche du film. Il n’est pas non plus dans l’évocation du monde imaginaire : le traitement du rêve de la Belle errant dans la forêt et découvrant le prince qu’elle attend, désigné par un ange, est fait sur un ton qui interdit l’émotion. Il y a d’ailleurs beaucoup de ruptures de ton dans ce film.
J’ai finalement beaucoup aimé le pont qui est fait entre le monde d’aujourd’hui et les archétypes des relations amoureuses tels qu’ils sont évoqués dans les contes, archétypes si bien étudiés par les analystes transactionnels. Car ces contes parlent aux enfants des futurs possibles et de ce qui leur arrive dans la vie. Ils les mettent en gardent contre les illusions et les encouragent à chercher avec courage ce qui les rendra heureux. Le fil véritable est montré dans cette scène muette entre les deux petits acteurs de la pièce, quand la petite prend la main du garçon qui a respecté son refus de se laisser embrasser.
Merci Agnès pour cette analyse très fouillée par la spécialiste des contes que tu es de ce film. C’est vrai que le mélange des contes et la tonalité un peu désabusée du film est moins plaisante à mon gré que dans « Le goût des autres ». Mais tu montres bien dans ton dernier paragraphe tout l’intérêt du dernier film d’Agnès Jaoui.