Faire attention à l’autre

Dire que l’être humain est un être social et qu’il a besoin de l’attention des autres paraît une banalité. Il suffit de regarder les très jeunes enfants dans les transports en commun pour voir comment ils répondent au regard des inconnus bienveillants, comment ils les observent et leur sourient.

Les enfants grandissent sous le regard des adultes. Ils ont d’abord besoin de contacts physiques : au travers de la manière dont leurs parents les prennent dans les bras, dont ils les bercent, les nettoient, les nourrissent ou les caressent, ils se construisent un modèle de relation à l’autre, se sentant acceptés, accueillis ou au contraire manipulés avec réticence et rejetés. Quand on leur parle, ils répondent au son de la voix par de beaux discours chantés mais sans paroles encore. Plus tard, les paroles spontanées ou socialisées prendront la suite avec les bonjour, au revoir, s’il te plaît, merci, qui marquent qu’on est en lien avec l’autre et que l’on fait attention à lui ainsi que les mots d’affection, d’amour ou, à l ‘inverse, de rejet ou de haine. Il reste que nous sommes dans la communication et que nous ne pouvons pas ne pas communiquer : détourner le regard est une manière de signifier l’indifférence ou le rejet de l’autre.

Les analystes transactionnels ont un concept pour décrire les marques d’attention, c’est le concept de « signe de reconnaissance » ou « stroke ». Le terme original anglais  contient aussi explicitement le sens de « coup » : Ce peut être une petite tape affectueuse sur l’épaule ou une agression physique. Dans les deux cas, on existe pour l’autre tantôt de manière agréable, tantôt de manière dommageable. Inutile de dire  que même si certains pensent que les coups valent mieux que l’indifférence, ils sont de moins en moins acceptés dans nos sociétés.

Le signe de reconnaissance ou « stroke » est l’unité d’échange social. Il peut être verbal ou non-verbal, positif ou négatif. Il s’adresse soit à la personne, soit à son comportement. Nous avons tous besoin de strokes : quand nous sommes petits, ils nous sont indispensables pour survivre et  grandir. Plus tard, nous apprenons  à nous en passer avec de grands dommages et nous nous contentons de ceux que nous glanons. : mieux valent des strokes négatifs que pas de strokes du tout !

Pour apprendre à repérer les signes de reconnaissance verbaux, je vous propose de penser à une personne que vous appréciez beaucoup. Que pouvez-vous dire d’elle ?

  • Elle est sympathique, belle, honnête, droite, serviable, intelligente ou drôle..

Pour toutes ces caractéristiques, direz-vous qu’elle est tout le temps sympathique, belle, honnête, droite, serviable, intelligente ou drôle ou que son comportement dans telle circonstance a été sympathique, de qualité, honnête, serviable, intelligent , drôle? Dans le premier cas, le stroke est dit « inconditionnel » ; dans le second « conditionnel».

Les premiers sont très recherchés. Les seconds sont pédagogiques : ils signalent les comportements qu’on apprécie et qu’on souhaite voir se reproduire. Si vous dites à quelqu’un « C’est gentil de m’avoir aidé ! » ou « J’ai apprécié vos paroles de réconfort », vous l’encouragez dans ce type de comportement. Il se sent reconnu et a envie de recommencer.

Et maintenant , pensez à une personne qui vous déplaît. Que pourriez –vous dire d’elle ?

  • Elle est odieuse, autoritaire, capricieuse, méchante, bête. stupide ..

Direz-vous qu’elle l’est tout le temps ou seulement de temps en temps et qu’alors son comportement peut être qualifié de détestable, autoritaire, capricieux, méchant ou bête ?

Les strokes inconditionnels négatifs blessent profondément l’interlocuteur et sont mal acceptés. Les strokes conditionnels négatifs sont pédagogiques :  comment se corriger si l’on n’a pas l’information sur le comportement qui ne convient pas ? En disant : « C’est méchant de dire ça ! », je signale le comportement que je rejette sans attaquer la personne.

En revanche, si dans votre enthousiasme ou votre détestation, vous êtes tenté de qualifier une personne sur le mode suivant : C’est la meilleure des mères !  le pire des idiots ! la dernière des dernières ! son comportement a été sublime, extraordinaire, l’exagération et l’imprécision transforment ce que vous pensez peut-être être des strokes en « méconnaissances ». N’ayant pas la possibilité de comparer toutes les mères, on ne peut parler de la meilleure des mères. De même pour les idiots. Il vaut mieux se méfier des superlatifs relatifs. En revanche le superlatif absolu est utilisable. On peut dire à quelqu’un « Dans cette circonstance, tu t’es montré très énergique (efficace, professionnel) ». C’est un stroke positif conditionnel. Les évaluations des élèves ou des professionnels devraient se traduire par des strokes conditionnels. Or ce n’est pas toujours le cas.

L’économie des strokes[1] :

Pour obtenir des strokes, il est bon de savoir en donner et de remercier pour ceux qu’on reçoit. Combien de personnes quand on les complimente sur la robe qu’elles portent ou le travail qu’elles ont fait s’exclament : « Oh ! ce n’est rien du tout. C’est une vieille robe que je ne mettais plus depuis longtemps ! » ou « Tu sais, ce travail n’était rien à faire ! ».

Ce genre de remarques concerne l’économie des strokes. Le mot économie a un double sens. Il s’agit de la manière dont on gère cette richesse , mais aussi de la manière certains évitent de la dépenser.

Claude Steiner a développé l’idée que la possibilité de donner des strokes et d’en recevoir est infinie. Il a inventé un conte où il parle de cela. C’est « Le conte chaux et doux des Chaudoudoux [2]». Les strokes positifs sont appelés « chaudoudoux » parce qu’ils sont chauds et doux à recevoir et à donner.

 Claude Steiner  y parle d’un temps où les chaudoudoux circulaient librement, chacun donnant des chaudoudoux à toutes personnes de son entourage et en recevant autant que nécessaire. Ces chaudoudoux rendaient les gens pleins d’énergie et heureux. Le jour où une vilaine sorcière fit circuler le bruit qu’à force d’en donner à n’importe qui, il n’en resterait bientôt plus, inspirant la crainte de la pénurie, Les gens se sont mis alors à garder les chaudoudoux pour leurs proches. Quand les enfants continuaient à en distribuer, ils leur en faisaient le reproche et leur interdisaient de continuer.

Sous l’effet de la raréfaction des chaudoudoux, les gens ont commencé à se disputer et à tomber malades. La sorcière a alors inventé des faux chaudoudoux qui étaient en réalité des « froids-piquants » déguisés en chaudoudoux. Cela valait mieux que rien.

Tout cela aurait mal fini si une personne bienveillante et généreuse n’était arrivée dans le village et n’avait convaincu les enfants que plus on donnait de chaudoudoux plus on en recevait. Les enfants ont par la suite convaincu leurs parents et tout est rentré dans l’ordre.

Encore faut-il apprendre à donner des vrais chaudoudoux sincères, précis, bien adaptés à la personne qui les reçoit, qu’elle soit enfant ou adulte. Selon la famille où l’on a grandi, on est plus ou moins enclin à faire des compliments ; on sait  ou on ne sait pas dire avec tact les choses négatives ; on accepte ou non les remarques ou les caresses.

La conclusion de Claude Steiner est qu’on doit apprendre

  • A donner des strokes
  • A les accepter quand on en reçoit et à remercier
  • A en demander quand on en a besoin
  • A refuser ceux qui ne nous conviennent pas
  • A s’en donner
  • Et à faire des réserves pour les mauvais jours.

En s’y entraînant, on se prépare une meilleure vie.

 Petit exercice à faire le soir avant de se coucher :

Installez-vous confortablement confortablement dans un bon fauteuil. Fermez les yeux. Détendez-vous. Pensez alors à tout ce que vous avez fait d’agréable et d’intéressant dans la journée. Félicitez-vous pour toutes les choses que vous avez réussies. Si vous avez vécu des moments désagréables, regardez comment vous avez su les dépasser et vous en dégager. A la fin, remerciez-vous pour ce moment que vous avez su vous accorder, puis revenez ici et maintenant, à votre fauteuil et à votre soirée.

Beaucoup de nos insatisfactions peuvent s’analyser en termes de manque de strokes. C’est pourquoi je vous rappelle qu’ils sont gratuits, toujours disponibles et qu’il est utile d’apprendre à les échanger. Chaque fois que vous pensez du bien d’une personne, pensez à le lui dire. C’est toujours mieux quand c’est exprimé!



[1] Claude Steiner : Des scénarios et des hommes Editions  EPI P 156 et suivantes

[2] Claude Steiner : Le conte chaux et doux des chaudoudoux , Paris, Interéditions 1984

 

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