Parlez moi de la pluie

« Parlez-moi de la pluie »  de Agnès Jaoui,

une lecture du film au travers de l’AT

Comme les films antérieurs d’Agnès Jaoui, ce film nous emmène dans les coulisses d’un théâtre. Il ne s’agit plus des planches, mais du théâtre de la vie politique où chacun joue vaillamment son rôle et fait son cinéma. Au cours du film, chacun va progressivement dévoiler  la face cachée de son caractère..

Deux sœurs se retrouvent à trier les affaires de leur mère à la suite de son décès. L’une est une femme célibataire brillante,  sans enfant,  qui est en train de se lancer dans la politique et vient faire campagne dans sa ville natale ; l’autre, mariée et mère de famille, se vit comme ayant tout raté. Aucune n’est vue par l’entourage pour ce qu’elle est, mais pour ce qu’elle paraît : la femme forte et sûre d’elle, la femme complexée et dépressive.

Face à ce couple de femmes, deux hommes : un journaliste : divorcé, préoccupé par ses soucis familiaux et amant de la mère de famille. Il est content de cette occasion de faire un reportage, car il est marginalisé dans son milieu professionnel. Il est accompagné d’un caméraman occasionnel qui est le fils de l’ancienne femme de ménage/dame de compagnie de la mère des deux femmes.

Les deux hommes sont aussi prisonniers de leur milieu et de leur histoire : le fils de la femme de ménage kabyle explique à plusieurs reprises à quel point il a vécu l’humiliation sociale ; le journaliste se sent aussi malmené en tant que père et en tant que professionnel.

 

Il apparaît très vite que la femme qui se présente à l’élection parlementaire, tout en n’ayant aucune chance d’être élue, vu sa position sur la liste, est perçue par son entourage comme un tyran, une femme de pouvoir.

A l’occasion de ce reportage, tous n’auront de cesse de lui infliger toutes les déceptions et humiliations possibles. C’est la revanche sur le passé pour la sœur et le fils de l’employée, la revanche du journaliste contre une personne en vue, la revanche du cultivateur qui les héberge lors d’un orage contre les élus qui viennent de Paris. On peut dire que les personnages tournent dans le triangle dramatique et passent d’un rôle psychologique de Victime à Persécuteur ou Sauveur jouant à « Pauvre de moi ! » , « Je te tiens ! » ou « J’essaie uniquement de vous aider ».

 

Le film est vif et drôle grâce à son humour et à ses retournements de situations : le journaliste se confie  au lieu d’interviewer ; le caméraman qui a fait un montage parodique de la carrière de la candidate est confronté à la réaction de sa victime ; les trois protagonistes partis glorieusement filmer dans la campagne sont pris par la pluie et doivent se réfugier dans une ferme hors de portée de téléphone portable.

 

Il laisse entendre que  les rôles sociaux futurs et leurs privilèges prennent racine dans la  famille au cours de l’enfance : l’aînée, brillante, adorée et admirée par sa mère, réussit sa vie sociale tout autant que sa vie affective, bien que femme et bien qu’ayant refusé la maternité. Dans sa vie d’adulte, comme c’était le cas dans son enfance, elle est en position haute, au centre de l’attention,.

La cadette  moins aimée, dépressive se réfugie dans la famille, l’amour parallèle, et n’arrive pas à trouver de sens à sa vie. Elle en veut à sa sœur d’avoir été privilégiée.

Chacune a fait des choix sous l’influence de cette donnée importante. La prise de conscience par l’aînée de la réalité de ses privilèges de fille préférée et de l’influence du passé sur les choix de chacune va permettre aux deux sœurs de se rapprocher.

 

Un autre thème concerne les préjugés qui entravent la carrière des femmes. Elles sont acceptées à condition de ne pas chercher à sortir du rang et de rester « à leur place » et dans le rôle de femme et de mère. Agnès Jaoui en donne deux illustrations.

–       Elle  présente un personnage de femme épanouie qui a refusé la maternité, ce qu’elle considère comme hardi pour un auteur. Cela va dans le sens contraire aux idées communes.

–       La manière dont la femme politique est attaquée par les journalistes en dit assez sur le refus viscéral qu’une femme puisse accéder au pouvoir politique..

Mais elle montre aussi des personnes, hommes et femmes, qui font de nouveaux choix et conquièrent leur autonomie.

 

Ce qui m’a plu dans ce film, c’est qu’Agnès Jaoui montre la double face des gens : derrière le rôle social convenu, il y a la vérité intérieure de la personne qui se révèle  à l’occasion d’un deuil, d’une rupture, d’un retour sur son enfance. Cette vérité qui leur était le plus  souvent cachée se révèle alors aux personnages et les rend émouvants et proches de nous. Les scènes autour du deuil de la mère sont particulièrement justes. La place du sentiment amoureux comme source essentielle du bonheur est montrée avec subtilité.

 

Paris octobre 2008.

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