Prévenir le pessimisme

Le pessimisme des français  apparaît clairement dans les enquêtes d’opinion concernant leur avenir. Quelle peut bien en être la cause ? Est-ce récent ou ancien ?

Ce n’est pas récent. Les trois économistes qui viennent de publier « La fabrique de la défiance et comment s’en sortir »[1] observent que, depuis l’après guerre, la hausse des niveaux de vie dans les pays industrialisés ne s’est pas accompagnée en  France d’une hausse significative du bien-être, à l’inverse de ce qui s’est passé dans les autres pays. Ils l’attribuent à la défiance généralisée envers l’autre, fruit des conditions dans lesquelles les petits français sont socialisés dès l’école primaire : enseignement vertical dominant et absence générale de travail en groupes, élitisme forcené qui se prolonge ensuite dans le monde du travail.

Une autre économiste[2] a étudié les effets du système éducatif français sur notre moral, cherchant des explications aux résultats des études concernant le bonheur et la satisfaction dans la culture, les mentalités, la nostalgie peut-être d’une grandeur passée. Elle a eu l’idée de regarder du côté de l’école en étudiant les résultats des élèves dans les populations immigrées d’Europe et en comparant  les immigrés de première génération qui étaient ou non passés par l’école française. Elle a constaté que ceux qui étaient passés par l’école française étaient moins heureux, toutes conditions égales, pour une zone géographique identique.

Le résultat se voit dans les enquêtes internationales : ainsi l’enquête PISA nous apprend-elle qu’un grand nombre d’écoliers français préfèrent ne pas répondre à une question plutôt que de prendre le risque de se tromper. Elle nous oriente donc vers le vécu des élèves en proie à la honte ou à la peur s’ils ne savent pas répondre. Or qui n’a pas le droit de se tromper a-t-il une seule chance d’apprendre ? Celui qui a commencé à échouer est condamné à l’échec dont la conséquence est le redoublement alors que dans les autres pays, les élèves en difficulté reçoivent un soutien particulier.

Je ne suis donc pas la seule à attribuer ce pessimisme au souvenir des humiliations de l’enfance au sein de l’école. J’ai en effet constaté dans les stages de formation d’adultes que j’animais que tout ce qui rappelait le fonctionnement de l’école était perçu comme négatif, en particulier l’attitude propre à celui qui sait face à celui qui ne sait pas.

Je ne suis pas la seule non plus à l’attribuer aux pratiques de compétition et d’évaluation abusive, aux réticences à faire travailler les élèves en groupe, seul moyen pourtant de développer la coopération et avec elle les compétences psycho-sociales.

Que peut-on faire  pour prévenir ce pessimisme ? Agir dès l’école primaire en développant un accompagnement à la fois ferme et bienveillant des élèves, dont nous ne devons pas oublier que ce sont tous des enfants en construction tant pour leurs connaissances et comportements que pour le développement de leur personnalité.

Ce que vivent ces élèves/enfants, j’en parle longuement avec mes co-auteures dans « Un élève est aussi un enfant »[3]. On y trouvera aussi des analyses et des illustrations des pratiques pédagogiques et relationnelles favorisant l’autonomie et le plaisir d’apprendre. Elles existent. Il suffirait de les encourager.



[1] LA FABRIQUE DE LA DÉFIANCE… ET COMMENT S’EN SORTIR de Yann Algan, Pierre Cahuc et André Zylberberg. Albin Michel, 300 p.

[2] LA DIMENSION CULTURELLE DU RAPPORT AU BONHEUR- The French Unhappiness Puzzle par Claudia Senick

[3] UN ÉLÈVE EST AUSSI UN ENFANT, par F Hénaff, A Le Guernic et C Salon, Paris Interéditions 2012

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