« Tu ne balaies pas les flaques ! », dit avec fermeté un petit bout de chou de quatre ans à la directrice de son école. C’est une école maternelle de campagne et la directrice veut éviter que les enfants ne trempent leurs chaussures dans l’eau et ne se mouillent les pieds en pataugeant dans les flaques. C’est pourquoi elle est en train de balayer soigneusement les flaques dans la cour de récréation. Et voilà que ce petit vient lui dire qu’elle ne fait pas ce qu’elle est en train de faire !
Elle réagit :
– Ben si
– Non
– Ben si, tu vois bien !
– Non, tu ne balaies pas les flaques !
Elle se dit : « Qu’est-ce qu’il me raconte ? »
– Ben si, tu vois, je balaie les flaques pour que vous ne vous mouilliez pas les pieds en récréation.
– Non, tu ne balaies pas les flaques !
– Alors, qu’est-ce que je suis en train de faire ?
Silence
– Mon papa m’a dit que tu ne balaies pas les flaques.
– Et bien, tu lui as dit que si, je balaie les flaques… que tu l’as vu.
– Mon papa dit qu’une directrice ne balaie pas les flaques.
– Ah c’est ton papa qui croit ça, que je ne balaie pas les flaques . Et bien tu diras à ton papa qu’il se trompe et que tu l’a vu de tes propres yeux et que la directrice balaie bien les flaques.
Les enfants peuvent être partagés entre la réalité qu’ils constatent et les affirmations de leurs parents. L’esprit critique, qui consiste à s’appuyer sur son expérience et ses sens plutôt que de croire les discours d’autrui, peut se développer à un âge très jeune, à condition que l’enfant ne se trouve pas dans un conflit de loyauté : croire ses parents ou l’autre.
Ce petit garçon a fait ce jour-là un acte d’autonomie car, même s’il commence en affirmant ce que dit son père, il remet en question ce qu’il affirme en soumettant à sa manière à la directrice la contradiction qu’il vit, à savoir qu’elle peut prendre soin des élèves et balayer les flaques sous ses yeux pour qu’ils ne s’enrhument pas alors que son papa ne peut imaginer que c’est possible de la part d’une directrice.
Il a eu la confirmation que son père se trompait et qu’il pouvait, lui, avoir raison. Il a reçu aussi un modèle pour répondre à un père sceptique à l’idée qu’une directrice pouvait prendre un balai. S’il a ramené l’expérience à la maison et que son papa l’a bien pris, il aura reçu une permission de penser par lui–même avec l’idée que ce n’était pas dangereux. Bravo pour le papa ! et pour la directrice qui a su lui parler !
Il aura eu depuis bien d’autres occasions de développer sa capacité de penser par lui-même, parfois contre ses parents, parfois contre ses maîtres.
Merci à Dominique pour cette anecdote charmante qu’elle m’a racontée.