AT et linguistique dans le modèle des transactions.

Je me sers constamment des transactions dans ma pratique de l’Analyse transactionnelle, en partie à cause de ma formation de professeur de français et de mon intérêt pour la linguistique. Je crois au langage et au travail sur le langage dans la recherche d’une communication plus ouverte, plus consciente et d’une relation un peu plus « égale ». Je déplore aussi parfois que ce modèle des transactions soit sous-utilisé, tout en sachant que le champ social au sens large s’y prête mieux que le champ clinique. Si  Berne  n’a jamais fait savoir qu’il abandonnait la conception cybernétique des transactions pour en adopter une autre, c’est peut être  parce qu’il en avait besoin dans le cadre de son projet de psychiatrie sociale. Tel qu’il fonctionne, le modèle original des transactions rend compte des particularités de la communication dont la prise en compte importe quand on travaille dans cette perspective de psychiatrie sociale.

Pour analyser le concept de communication, il existe trois orientations théoriques essentielles [1]:

1- Le modèle cybernétique et la théorie de l’information :

L’information englobe langues, codes et signes, les notions d’émetteur, de récepteur, de code et de canal, de message et de contexte. C’est une théorie qui présente une conception de la communication où sont formalisés les processus de transmission et où l’accent est mis sur les qualités logiques du message plus que sur la signification.

Les transactions fonctionnent selon le schéma de la communication de Roman Jacobson[2]. Il comprend les six éléments : émetteur, récepteur, message, canal, code et contexte. Je l’ai complété en prenant en compte la réponse au stimulus et l’inversion de l’émetteur et du récepteur lors de la réponse : le récepteur du premier message devient émetteur du second, les deux étant liés.

En effet, j’aime me référer à l’article d’Emile Benveniste : Structure des relations de personne dans le verbe[3]. Il développe l’opposition Je/Tu et leurs liens. Quand l’émetteur du message dit « Je », il se désigne en disant « Je » et il dit quelque chose sur le compte de « Je », comme dans l’exemple : « Je suis surpris par ce que tu affirmes là ». En disant « Je », je ne peux pas ne pas parler de moi.

En même temps quand l’émetteur dit « Tu » à son interlocuteur, récepteur du message, il le désigne par ce « Tu » et il énonce quelque chose à son propos. « Tu » ne peut pas être pensé hors d’une situation posée à partir de « Je ».

« Je » et « tu » sont uniques (le « je » qui énonce, le « tu » auquel il s’adresse) et inversifs. Quand le récepteur du message répond et se transforme en émetteur, celui qui, dans le stimulus, était  désigné par « Tu » dit  « Je » à son propos dans la réponse et dit « Tu » en s’adressant à l’émetteur du premier stimulus. La maîtrise de « je/tu » est une étape essentielle dans l’acquisition du langage par un enfant.

Le modèle est déjà systémique. Si l’on ajoute au message verbal, le message non verbal, l’effet de système est accru. Pour devenir transactionnaliste, il ne reste plus à ce schéma qu’à doter l’émetteur et le récepteur de trois états du moi chacun.

2 – Le modèle systémique et la logique de la communication avec mise en évidence des processus interactifs de tout comportement.

Il fait référence à Bateson et à l’école de Palo-Alto. J’ai montré dans la première partie de mon livre[4] en quoi l’AT et la systémique se rencontraient et différaient. Les cinq propriétés de la communication systémique sont compatibles avec l’A.T., mais le type d’intervention est différent, les systémiciens ayant adopté le modèle d’intervention de Milton Erickson[5].

3 – Les modèles du langage dans la communication et la recherche de l’influence par le choix du code, en fonction d’objectifs qui sont propres au locuteur.

Si le locuteur veut exprimer ses émotions, il reste centré sur lui-même et utilise les éléments expressifs du code ; s’il veut obtenir quelque chose de son interlocuteur, il utilise les éléments du code de type « conatif » (comme l’impératif) qui permettent de faire pression sur l’autre. C’est ici que peut apparaître l’idée qu’on peut « viser » un état du moi. Plus généralement, le travail sur l’expression est essentiel dans la recherche de l’efficacité. L’art oratoire n’est-il pas l’art de plaire et de toucher ?

On dit parfois que Berne n’accordait pas beaucoup d’importance aux mots. Il affirme le contraire dans Principes de traitement psychothérapeutique de groupe[6] : « Il faudra des années d’études (au thérapeute) pour maîtriser les subtilités de la communication verbale ».

C’est ce travail sur le langage (choix des mots et des tournures) que je fais systématiquement, utilisant pleinement toutes les possibilités offertes par les transactions. J’insiste aussi pour rappeler que le récepteur garde tout son pouvoir et peut toujours croiser la transaction, réorientant le dialogue en toute liberté[7], que la modification de l’état interne de l’émetteur et du récepteur est primordiale. Mais je pense aussi que, si la qualité de la relation est essentielle dans la vie sociale et professionnelle, sans un minimum de savoir dire, elle trouve vite sa limite.

Ma position théorique implique que j’ai fait le choix d’un modèle des états du moi où le Parent et l’Enfant contiennent à la fois des éléments scénariques et des possibilités de développement, à l’inverse de la conception de l’Adulte intégré. Je suis d’accord avec Ian Stewart[8] quand il affirme la nécessité de choisir clairement quel est son modèle de « personne totalement guérie » et de l’annoncer.                                             Paris, mars 2008.

[1] Gustave-Nicolas Fisher : Les concepts fondamentaux de la psychologie sociale, Dunod, pp 127-137

[2] Professeur de linguistique au MIT. Son article sur les six fonctions du langage est paru en 1960.

[3] Emile Benveniste : Problèmes de linguistique générale Tome 1 page 225, Gallimard 1966 (article de 1946 paru dans le bulletin de la société de Linguistique)

[4] Agnès Le Guernic : Etats du moi, transactions et communication, InterEditions 2004 ;

[5] P. Watzlawick, J Helmick Beavin, Don D. Jackson : Une logique de la communication. Le Seuil.

[6] E. Berne : Principes de traitement psychothérapeutique de groupe , Editions d’AT, page 88

[7] Agnès Le Guernic : Les transactions dans la relation d’influence, AAT N° 107, juillet 2003

[8] Ian Stewart : Egostates and the theory of theory : the strange case of the Little Professor. TAJ Vol 31, N°2 Avril 2001.

Lecture féministe 8 : Pas envie ce soir

Lecture féministe N° 8

Pas envie ce soir de Jean-Claude Kaufmann

 Doit-on dire quand on n’a pas envie ?  Mettre en avant ses aspirations personnelles ? Au risque de décevoir le partenaire ou de gripper la mécanique conjugale ? On remet à plus tard une possible explication sur le sujet jusqu’au jour où ce que l’on vient de subir devient inacceptable.

 Avec l’affaire Weinstein et le mouvement #MeToo/ #Balance ton porc, la prise de parole des femmes  concernant la sexualité subie s’est généralisée et on a commencé à l’écouter. Du coup les femmes se sont davantage autorisées à s’exprimer, mais on n’a pas encore beaucoup entendu parler de ce qui se passe dans les familles. C’est le sujet qui intéresse le sociologue du couple Jean-Claude Kaufmann. Je vous propose ce que j’ai retenu de sa réflexion que je trouve très éclairante.

La libération de la parole des femmes au sujet des agressions sexuelles a provoqué un véritable séisme dans la société ; rien ne sera plus jamais comme avant. Un immense chantier a été ouvert qui n’est pas près de se refermer : celui de la réorganisation des relations amoureuses et de séduction entre les hommes et les femmes. Une réorganisation fondée  sur le respect, l’écoute, l’ égalité, où la notion de consentement est centrale.

Jean-Claude Kaufmann aborde le consentement sous l’angle original du non-consentement qui ne serait pas si facile à exprimer qu’on veut  bien le croire, à cause des divergences de désir entre les hommes et les femmes et de la signification de désamour que prend le non-désir quand il s’exprime clairement. Or il n’y a pas d’égalité des désirs, comme il l’a découvert suite à son appel à témoignages sur le net .

Le premier sujet qu’il aborde est cette divergence. Le stéréotype selon lequel l’homme adore le sexe et la femme adore l’amour reste d’actualité à tous les âges. Pour un homme la baisse du désir de sa femme est perçue comme un signe conjugal négatif, une preuve de désamour. Les hommes sont capables de séparer sexe et sentiments lors d’une rencontre avec une inconnue mais dans le couple qui dure c’est le contraire : sexe et sentiments sont liés.

 L’auteur aborde aussi  comme perturbateur du couple le nouvel idéal de rester pleinement soi tout en vivant à deux . Or on ne peut rester soi en ajoutant l’autre à sa vie sans qu’il dérange. Les routines rendent la vie plus facile. Mais elles créent l’ennui. Une opposition se manifeste entre le don de soi et la défense des intérêts  et souhaits personnels. Dans une société fondée sur l’autonomie individuelle, tous les couples et toutes les familles sont travaillées par cette opposition.. On veut aller au-delà de soi pour aider le partenaire, pour lui faire plaisir mais pas trop quand même et pas toujours : l’épanouissement personnel ne saurait être systématiquement sacrifié.

La trajectoire du désir est étroitement corrélée à celle des engagements familiaux de la femme. Dans la phase ascendante, la sexualité tend à être marginalisée et tout un faisceau de facteurs (routines, agacements, laisser aller du mari) concourent d’autant plus à affaiblir le désir  que  les relations sexuelles passent désormais après. Puis quand cette réalité est bien établie, la tentation est grande de se retirer un peu de ce petit monde pour mettre en avant des aspirations personnelles.

L’auteur nous invite à nous interroger sur le désir lui-même. Sommes-nous égaux face aux modalités de son éclosion ? S’empare t-il soudain de nous ou devons nous mettre en scène les conditions de son éclosion ? Est-ce qu’il faut le provoquer ce désir ou est-ce qu’il vient tout seul ? Le désir masculin n’a pas l’air d’avoir besoin d’être stimulé par autre chose que la vue ou la pensée de la personne désirable. Il est ou il n’est pas… En plus il doit être suivi d’un passage à l’acte alors que le simple fait de sentir son excitation pour une femme  est déjà une jouissance, qu’elle soit suivie ou non d’ébats  amoureux.

Beaucoup de femmes pourraient dire pourquoi et comment leur désir doit trouver les conditions lui permettant de s’exprimer… Cela implique aussi que les femmes se forcent dans l’espoir de créer un peu ces conditions.

Beaucoup d’hommes continuent à ignorer non pas comment le désir vient aux femmes mais comment il vient à leur femme. Encore faut-il quelles le sachent elles-mêmes.

Les variations du désir féminin sont inscrites dans un cycle conjugal qui connaît un nouveau pic au moment de la rencontre d’un autre partenaire. Pour les hommes la variation la plus notable est celle d’une lente et progressive diminution de la libido avec le vieillissement. La rencontre d’une nouvelle partenaire ne provoque pas chez eux de séisme aussi violent que chez les femmes . Elles vivent avec intensité la renaissance de leur corps.

Le décryptage de la situation n’est pas simple pour les hommes :  Plusieurs siècles de rituels de séduction nous ont légué un jeu de rôles : l’homme conquérant et la femme pudique qui résiste. Des traces en restent. Il faut donc que les hommes apprennent à écouter les signaux faibles et à les interpréter. Mais une majorité d’hommes reste convaincue qu’il est légitime de forcer un peu. Les habitudes qui se mettent en place peuvent maquer un vrai refus. Et quand l’homme  continue à forcer un corps qui résiste il peut y avoir harcèlement ou viol sans qu’un mot ne soit prononcé.

La question du consentement est conjugalement explosive ; elle recouvre de lourds secrets.

Le couple est un système d’échange permanent de biens et de services de toute nature, générant satisfactions et insatisfactions le tout finissant pas s’équilibrer plus ou moins. Les femmes engagées corps et âme dans la vie de famille ont plus d’insatisfactions que les hommes et moins d’occasions de les exprimer au dehors

Comment créer des liens et les entretenir

 

 

Lors du prochain Café AT, je vous propose d’explorer avec moi les espaces de rencontres à notre disposition pour éviter l’isolement et dire non à la  solitude en cultivant les liens avec les autres. En complément de la question d’Eric Berne: « Que dites-vous après avoir dit bonjour ? », je pose la question « A combien de personnes dites-vous bonjour chaque matin et à qui ? »

Pour comprendre pourquoi certains ne pensent même pas à dire bonjour, il faut prendre en compte les apprentissages relationnels de l’enfance et de la jeunesse qui nous ont conditionné(e)s.

Où trouver les ressources pour lutter contre l’isolement ? D’abord dans les groupes d’appartenance dans lesquels évolue chaque être humain :

  • sa famille d’origine ou ce qui en a tenu lieu,
  • ses amis,
  • ses divers milieux professionnels,
  • la vie amoureuse et le foyer.

Chacun de ces lieux a des spécificités dont il vaut mieux connaître les codes et le fonctionnement. A chacun de découvrir ce qui compte le plus pour lui (elle) pour pouvoir accéder aux joies de la compagnie sans renoncer à la liberté que donne une certaine capacité à se ménager des moments précieux de solitude.

Ce livre est un ouvrage de développement personnel qui utilise l’AT.

Dire bonjour

Le problème de la solitude pèse lourd dans notre société de plus en plus individualiste. C’est sans doute le prix à payer pour avoir échappé au contrôle social étouffant des sociétés traditionnelles. Il n’empêche que nous ne sommes pas seuls, à aucun moment. Depuis notre naissance nous vivons dans des groupes plus ou moins nombreux où nous ne sommes jamais vraiment seuls. Et nous ne pouvons pas survivre sans les autres membres du groupe. A l’inverse des autres mammifères, un bébé humain dépend entièrement des adultes qui l’entourent et prennent soin de lui pour assurer sa survie. Il a besoin d’être nourri, porté, touché, caliné pour pouvoir atteindre l’âge où il devra à son tour prendre en charge avec d’autres le renouvellement des générations.

Mais peut-être, sans être jamais totalement isolé, avons-nous quand même l’impression de l’être. Nous disons alors : je suis seul, je n’ai personne, ou je n’ai que toi, ce qui pose d’autres problèmes ! Mais pour quoi faire ? Pour m’aimer ? Pour m’aider ? Pour s’occuper de moi ? Ou pour converser, s’aimer, travailler et donner un sens à sa vie ?

De quoi parlons-nous dans ce cas? Du sentiment de solitude. Il peut venir des manques de notre vie : manque d’êtres chers, disparus ou vivant au loin, manque d’affection et d’amour ou seulement insuffisance de signes d’attention. Il peut venir aussi de l’impression d’être différent, incapable de s’intégrer dans un groupe faute d’avoir appris à le faire dans le monde où nous avons grandi. Ce sont ces manques qu’on peut combattre, ces vides qu’on peut apprendre à combler, ces apprentissages qu’on peut faire, comme l’analyse transactionnelle nous y invite et nous l’apprend.

 

 

Lecture féministe 7

Soumission des femmes : subie ou choisie ?

Dans son livre « On ne naît pas soumise, on le devient » la philosophe Manon Garcia met ses pas dans ceux de Simone de Beauvoir et pose la question de la soumission des femmes. Je vous propose quelques passages particulièrement  intéressants à propos de la relation des femmes au pouvoir.

La soumission est-elle naturelle ou apprise ? Est-elle forcément subie ou ne peut-elle pas être aussi parfois choisie ? Car certaines femmes choisissent la soumission :  Il y a de la soumission dans le fait de suivre la mode, de s’affamer pour entrer dans une taille 36 ou de prendre en charge l’intégralité de la charge mentale du foyer.  

La domination est une relation

Marion Garcia préfère parler de soumission plutôt que de domination et renverser le point de vue sur le pouvoir. C’est un des points qui m’ont intéressée particulièrement, en complément de l’approche de l’analyste transactionnel Claude Steiner concernant les jeux de pouvoir.

A n’étudier les rapports asymétriques de pouvoir que sous l’angle de la domination, on se prive d’une compréhension globale des rapports de pouvoir, en particulier des rapports de pouvoir asymétriques puisqu’on ne les envisage que d’un seul point de vue, celui du dominant. Etudier la domination comme relation de pouvoir asymétrique nécessite d’interroger les deux extrémités du rapport de domination.

Du côté du dominant cela consiste à se demander comment fonctionne la domination pour celui qui l’exerce.

  • Par exemple on peut se demander ce que cela fait de dominer ;
  • On peut aussi s’interroger sur l’efficacité de la domination en étudiant comment on fait ;
  • On peut aussi se demander ce que c’est que dominer, qui domine à un instant précis, pourquoi ces gens cherchent à dominer.

Mais la question toujours passée sous silence et cependant centrale dans l’analyse de la domination consiste à se demander comment fonctionne la domination pour celui sur qui elle s’exerce.

Analyser la domination c’est procéder à un retournement du regard, ne plus analyser les relations asymétriques depuis la simple perspective de celui qui les impose ou qui les crée, mais depuis la perspective de ceux et celles sur lesquels elles s’exercent. C’est faire l’hypothèse  que comprendre la façon dont la relation fonctionne pour ceux qui l’exercent ne suffit pas à rendre compte de ce qui se passe pour ceux sur qui elle s’exerce. Ne pas se tromper sur le sens du verbe « s’exercer ».

La domination est une relation. On peut faire l’hypothèse que cette relation a un effet sur qui est dominé ou soumis et que celui-ci, n’est, contrairement à ce que la forme verbale laisse entendre, pas absolument passif dans ce processus.

Le cheminement original de Simone de Beauvoir :

Elle est dans une position qui lui permet de donner à voir la soumission et plus généralement l’expérience des femmes. Elle est une femme. Cette qualité est la première qui lui vient à l’esprit quand elle cherche à se définir. C’est pour pouvoir penser ce qu’elle est qu’elle écrit « Le deuxième sexe ».Elle considère que certaines femmes dont elle fait partie sont dans une situation singulière car elles sont femmes et en même temps elles n’ont jamais eu à éprouver leur féminité comme une gêne ou un obstacle » tant et si bien que d’un côté elles connaissent  ce que signifie pour un être humain le fait d’être féminin »  et d’un autre côté, elles ont face à cette question une forme de détachement qui leur permet d’espérer que leur attitude sera objective ». ; elles peuvent s’offrir le luxe de l’impartialité.

La vie ordinaire échappe souvent à la philosophie parce qu’elle semble trop médiocre pour que les philosophes s’y intéressent, mais aussi parce qu’ils sont par leur position sociale à l’abri de cet ordinaire. Les  femmes voient certaines choses que les hommes ne voient pas en raison de la division genrée du travail domestique. Comme les femmes sont préposées au rangement et au nettoyage elles voient les chaussettes sales que les hommes ne remarquent même pas.

En tant que femme, Beauvoir fait apparaître la vie ordinaire dans toute sa complexité depuis les problèmes philosophiques que posent le ménage et la cuisine jusqu’aux enjeux que constituent la menstruation ou la puberté dans l’expérience du corps. Elle distingue chez elle et chez les femmes qui l’entourent les plaisirs du dévouement, de l’abdication. En tant qu’intellectuelle existentialiste pour qui la liberté est la valeur cardinale, elle est scandalisée par le spectacle de la soumission féminine.

Beauvoir propose une phénoménologie de l’expérience vécue de la soumission par toutes les femmes, à tous les âges, dans toutes les situations. Elle met en évidence le caractère généralisé et presqu’universel de la soumission féminine. Le monde dans lequel naissent les humains de sexe féminin est toujours déjà structuré par une norme de la féminité qui est une norme de soumission..

  • Elle décrit la vie des femmes dans sa complexité ce qui n’avait jamais été fait.
  • Elle la décrit telle qu’elles la vivent.
  • Dans Le deuxième sexe, les femmes apparaissent comme une multiplicité de sujets.

Elle s’appuie sur les expériences faites en première personne et elle multiplie les sources de récits à la première personne.

La puberté vécue, du corps à la chair :

Devenir chair se produit pour la jeune fille à travers le choc terrible que constitue pour elle la prise de conscience qu’elle est regardée. Beauvoir cite une femme qui dit « jamais je n’oublierai le choc physique à me voir vue » A partir de la puberté, dans l’espace public, dans la rue mais aussi dans les interactions familiales la jeune fille va comprendre que son corps est sexualisé par le regard des hommes. Alors qu’elle n’attirait pas d’attention particulière elle va se voir vue, examinée, se voir désirée. Son corps est devenu quelque chose qui ne lui appartient plus, qui est non plus son corps à elle, mais un corps de femme c’est-à-dire dans le regard des hommes un objet de désir. Son corps n’est pas son corps mais ce qui la fait apparaître dans le monde comme une proie possible.

Le consentement à la soumission

Il a des causes politiques, sociales et économiques qui proviennent de la domination masculine mais il résulte aussi du plaisir pris à la soumission. Leur conformité aux attentes de l’oppresseur est bien plus largement rétribuée que pour les autres groupes opprimés. Les femmes qui se soumettent consentent à un destin qui leur est assigné à partir d’une sorte de calcul coût/bénéfices dans lequel les délices de la soumission pèsent lourd face aux risques de la liberté.

Dans la société patriarcale,  les hommes et les femmes grandissent  dans un monde organisé par des normes sociales de genre qui prescrivent aux hommes l’indépendance, le courage et aux femmes la sollicitude et la soumission. Plus que la consternante solidarité des agresseurs entre eux, le grand ennemi d’une entente égalitaire entre les sexes qu’il est important d’identifier en nous et chez les autres, c’est le consentement des femmes à leur propre soumission.

Qu’en dites-vous ?

Paris 15 juillet 2022