Apprendre les codes sociaux

La civilité, adaptation positive aux règles de vie de son milieu culturel, se construit dans la jeunesse d’abord dans la famille puis à l’école et dans les groupes d’égaux. C’est un point important dans l’éducation.

 En tant qu’éducatrice je me suis intéressée aux conditions de la réussite scolaire et sociale dans une société plus ouverte et de moins en moins homogène et je me suis demandé comment il se faisait que dans les mêmes conditions économiques et sociologiques, certains jeunes réussissaient et d’autres non.

La réponse que je fais est que la réussite scolaire tient autant aux comportements qu’aux connaissances. Il en est de même pour la réussite sociale. Après le langage, ce sont les comportements qui signalent l’appartenance au groupe. Le but des éducateurs, dans un monde ouvert, est de développer chez les jeunes gens  la capacité  à circuler d’un groupe à l’autre et à sortir de l’enfermement de leur milieu d’origine. Le rôle des enseignants est primordial pour compléter ou parfois redresser celui de la famille en offrant des modèles plus ouverts.

Le code concerne

  • le langage (langue et  niveaux de langue.) Les bases s’acquièrent en famille, mais c’est à l’école que se fait l’apprentissage systématique. La langue de l’école n’est pas toujours la langue maternelle de l’élève.
  • le comportement, la manière de se présenter, les règles de la politesse qui font l’objet d’un conditionnement dès la petite enfance et sont renforcées avec plus ou moins d’exigences à l’école.
  • les vêtements qui ne font l’objet d’un choix qu’à partir du moment où l’enfant obtient de ses parents qu’il participe au choix de ses vêtements et suive les modes du groupe des élèves.

Le code social est un système de langage, de comportements et de signaux corporels (vêtements, coiffure) qui transmettent ce message : « J’appartiens (ou je n’appartiens pas) à ce groupe ».  L’intégration des enfants dans une société passe par l’acquisition des codes de cette société.

J’ai développé dans cet atelier l’idée que l’apprentissage des codes comportementaux concernait trois domaines, tous en rapport avec la position dans la relation à l’autre.

Il s’agit de la relation à l’autorité, depuis la position basse, de l’exercice de l’autorité en position haute et  la relation entre les sexes, relation entre égaux où il faut prendre en compte  les interférences du désir amoureux.

 Chacun  apprend dans son enfance comment se comporter face à plus fort que soi et comment se comporter face à plus faible que soi. Chacun apprend à mesurer s’il faut s’adapter ou se rebeller, si c’est possible et à qui c’est possible. S’il veut prendre des responsabilités avec ce qui va avec, il aura besoin de modèles.

Il s’agit aussi  selon qu’on est garçon ou fille de savoir comment se comporter vis à vis de l’autre sexe. La mixité permet aux nouvelles générations de se connaître sur les bancs de l’école et de réduire la crainte inspirée à chacun par l’autre sexe dans les sociétés traditionnelles. L’égalité croissante des traitements entre filles et garçons devrait aboutir à terme à une véritable parité sociale. Pourtant le poids de ces milieux traditionnels où la femme est enfermée et contrôlée par les hommes de l’entourage est une menace pour ce progrès-là. Ce qui pour une jeune fille ou une femme est autorisé ici n’est pas autorisé partout.

L’acquisition des codes sociaux dépend pour le jeune des messages reçus de sa famille et des figures parentales importantes[1] et de ce qu’il en a fait.

Les messages parentaux, selon la théorie du scénario en analyse transactionnelle, sont de trois sortes :

  • des discours, opinions, propos généraux sur ce qui est bien ou mal, sur ce qu’il faut faire quand on est un « bon garçon », une « gentille fille ». Les valeurs, mais aussi les préjugés de la famille transparaissent dans ces discours.
  • des conduites : comment se comportent les parents dans la vie de tous les jours ? Les enfants  vont reproduire certains de ces comportements. Ils observeront aussi les contradictions entre ce qui est annoncé et ce qui est fait.
  • Des émotions manifestes au niveau non verbal qui ont une influence directe et immédiate  : dégoût, rejet, convoitise, interdiction. C’est le niveau le plus archaïque (avant le langage), négatif quand il s’agit des injonctions, positif quand le parent crée un bon lien avec l’enfant.

L’exploration de ce système de messages permet de faire apparaître les contradictions à l’origine des blocages par rapport à la réussite, par exemple le désir de la famille traditionnelle de voir réussir ses enfants, mais une tolérance extrême devant les écarts des garçons et l’absence d’exigences à leur égard, à l’inverse de ce qui se passe pour les filles.

La deuxième série d’influences est l’influence directe du groupe d’égaux :

Selon les âges, les milieux, le groupe exerce son influence créant une culture de groupe qui se manifeste extérieurement par la mode vestimentaire, les jeux y compris les jeux  dangereux, les usages et le langage : expressions, tics de langage, usage du verlan, de l’argot. Cette culture du groupe enferme le jeune s’il a l’impression de trahir les siens quand il refuse d’en sortir ou s’il y est confiné par son milieu.

Les enseignants relaient les parents dans l’apprentissage des codes sociaux :

  • Dans l’apprentissage du code de la langue dont la maîtrise est cruciale pour  l‘intégration sociale.
  • Dans l’utilisation des registres de langue
  • Dans l’application des règles de politesse
  • Dans le contrôle du corps en société.

Ils sont efficaces quand ils donnent le sens  de ces règles et les valeurs qu’elles sous-tendent :  Respect de l’autre et de soi. Respect des règles. Recherche de l’intégration sociale, égalité,  coopération. Respect du garçon en tant qu’homme, de la fille en tant que femme. Pour faire cela, ils ont besoin de temps. La possibilité en est donnée avec les  créneaux appelés « vie de classe ».

Leurs élèves témoignent qu’ils apprécient ces moments qu’ils appellent  de manière amusée « morale » ou  « sermons », pendant lesquels certains enseignants leur parlent de la vie et partagent avec eux leurs modèles et leurs valeurs. Les professeurs de lettres ou d’histoire le font peut-être plus volontiers que les professeurs de mathématiques parce que leur matière s’y prête mieux, mais c’est surtout une question de choix personnel, selon qu’on est sensible ou non au rôle éducatif de l’école.

Ce travail se fait par modélisation et implique de la congruence chez l’enseignant. Pour apprendre aux élèves à respecter les autres, commencer soi-même  par les respecter est indispensable. Ce sujet est très riche. Il touche au scénario personnel, à l’influence du milieu culturel et au combat de l’école pour un monde meilleur.

Atelier d’analyse transactionnelle au congrès NPNL à Paris, le 31 janvier 2009

 


[1] Agnès Le Guernic : Les sources de conflits intrapsychiques  dans l’état du moi Parent, AAT 121, janvier 2007

One thought on “Apprendre les codes sociaux”

  1. Je suis d’accord avec ce que tu écris dans cet article. J’ajouterais que c’est vrai aussi après « l’école »; par exemple, un conseiller à « Pole Emploi » peut pallier aux carences du milieu dans lequel a grandi la personne (qui repart dans son Parent en état de stress) en aidant la personne à s’ouvrir à une autre vision du monde et d’elle- même.

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