L’analyste transactionnelle que je suis trouve la manière de s’exprimer du Président de la république inhabituelle pour un homme politique. On avait l’habitude de la langue de bois, générale chez les hommes au pouvoir, avec dévalorisation systématique des adversaires.On est passé à un style très direct, de type assertif, avec un parti pris de franchise (Je dis ce que je pense) et la volonté de rester dans une dynamique positive (le respect du point de vue de l’interlocuteur). Ce style est plus proche de celui du monde « psy ». C’est pourquoi j’ai voulu regarder de plus près comment l’analyser et saisir ressemblances et différences.
La relation avec les médias :
Les journalistes déroutés continuent de parler de « com ». Elle est qualifiée tantôt de « bonne com », tantôt de « mauvaise com ». Ils se demandent qui est le conseiller en communication, se situant spontanément dans le domaine du processus de construction d’image et de promotion politique. Ils se positionnent visiblement en position haute[1] quand ils parlent de bonne ou de mauvaise com, comme si c’était leur domaine d’expertise.
Emmanuel Macron refuse la position basse, qui serait complémentaire à la leur, et dit lors d’une interview avec un journaliste du Spiegel : « Je mets fin au copinage entre la politique et les médias. Un président devrait garder les médias à distance ». Il garde donc la position haute en insistant sur le choix jupitérien (Jupiter est le maître des dieux latins) et en rappelant qu’il est le maître des horloges. Plus question de discuter comme entre copains !
Ainsi, le président, interrogé par l’une d’entre eux qui lui demandait pourquoi il avait choisi pendant sa visite à l’O.N.U. de s’exprimer d’abord sur la chaîne américaine CNN plutôt que sur un média français, a-t-il répondu : « Je m’exprimerai devant les médias français, mais quand je vois le temps passé depuis quatre mois à ne commenter que mes silences et mes dires je me dis que c’est un système totalement narcissique ». Il leur reproche de s’intéresser trop à la communication et pas assez au contenu de sa politique. La demande de la journaliste sous-entendait la question : Qu’est-ce que vous reprochez aux médias français ? Il a répondu directement à la demande qui lui était faite de se justifier, mais en s’exprimant depuis la position haute, sous forme de reproche, ce qu’on appelle en AT « croiser la transaction ».
Comment s’adresse – t-il aux électeurs ?
De manière directe, de son état du moi Adulte à l’état du moi Adulte de l’autre. Les accords et les désaccords passent par des messages-Je : « je ne suis pas d’accord ! » Les oppositions même fortes sont formulées en passant par l’expression des points de vue : « Je pense que vous vous trompez, que vous nous trompez ». Les opinions s’expriment dans un langage centré sur les faits, les observations, les constats. Il répond directement aux demandes et aux questions. Il se positionne à égalité avec l’interlocuteur.
Sa communication est la plupart du temps sous contrôle. Aucun professionnel ne peut se permettre de dire sans réfléchir tout ce qui lui passe par la tête, sauf peut-être le nouveau président des Etats-Unis. Elle dérape parfois sous l’effet de l’humeur, ce qui lui est alors vivement reproché. C’est la limite du style direct. Dire ce que l’on pense est une habitude. C’est sans conséquence avec ses proches ; en revanche, on peut déranger, blesser ceux à qui on s’adresse ou dont on parle et prêter le flanc à toutes sortes de procès d’intention : mépris des faibles, arrogance. En même temps il est conscient que s’il se laisse à aller à parler comme chacun le fait dans l’intimité sous l’effet des mouvements d’humeur dus à l’agacement et aux frustrations devant les résistances, on ne le lui pardonnera pas. C’est la difficulté de son rôle et de son statut. Or la capacité d’un individu à contrôler ses émotions et ses humeurs a des limites.
Les différences entre le monde des psy et le monde politique :
La communication directe fait partie de la manière de communiquer de ceux dont le métier est de créer une relation positive avec leurs clients pour pouvoir les aider tout en les confrontant à la réalité. Le psy se place en position basse ou égale face à son interlocuteur. Il ne cherche pas à faire passer ses idées ; il se met au service du client. Son attitude est empathique et il utilise des techniques d’écoute et de reformulation pour aider l’autre.
En politique la communication directe rare. Je pense à la formule du « parler vrai » de Michel Rocard. Cette manière est moderne, plus adaptée à la vie démocratique, même si elle n’est pas toujours agréable : il y a des vérités qui dérangent, comme le constat que le Père Noël est réservé aux petits enfants. Heureusement, la société civile plus instruite, mieux informée, ne supporte plus ce qu’on appelle le « politiquement correct » et la langue de bois. Elle attend autre chose. Elle peut y trouver son compte. En revanche, le politique a intérêt à adopter la position égale, en se fiant à l’intelligence de l’interlocuteur, ou la position haute quand il s’agit d’affirmer sa fermeté sur les valeurs ou sur les prérogatives de sa fonction. C’est ce que fait Emmanuel Macron.
En revanche il n’adopte pratiquement jamais la position basse. Elle est déléguée aux comités chargés de recueillir les doléances, demandes et propositions de la population.
Montre-t-il pour autant de l’empathie et de la compassion ?
Ce sont les nouvelles attentes du public, entretenues par les médias. On n’attend plus seulement des orateurs capables de plaire, de toucher et d’enthousiasmer. Il faut montrer de l’empathie. Elle consiste à se mettre à la place des gens et à ressentir ce qu’ils ressentent, tout en restant dans une position égale. La compassion implique de s’associer aux souffrances de l’autre. Elle implique la position haute du Parent Nourricier qui réconforte une victime. Le risque le plus grand est alors de juger au lieu de plaindre, ce qui peut se produire automatiquement sous l’effet des résistances et des réticences rencontrées.
La relation avec les pairs et la position égale :
Pour un chef d’état, les pairs sont les autres chefs d’état. Le monde de l’international est un monde où règnent les rapports de force. La force est rarement du côté de La France. Pourtant Emmanuel Macron se positionne de manière égale avec les chefs d’état les plus puissants, prenant le parti que l’autre est capable, comme lui, d’entendre et de supporter les divergences de vues. Ainsi, alors que les relations internationales fondées sur les rapports de force se voilent généralement d’un discours diplomatique parfaitement hypocrite, notre président revendique explicitement de parler de manière directe et non dévalorisante au président Trump lui-même. Il le revendique : « Trump est là, il est à la tête d’une puissance mondiale. Je parle avec lui et j’explique mon point de vue. Nous entretenons une relation extrêmement cordiale. Parfois nous avons des points de vue contradictoires, mais parfois nous sommes d’accord. Je n’arrêterai pas de travailler avec lui. » (Interview du Spiegel)
Et la bienveillance ?
Cette attitude, revendiquée par Emmanuel Macron relève en analyse transactionnelle de la position de vie OK +. Être OK, c’est se percevoir comme quelqu’un de bien face à une autre personne qui est aussi quelqu’un de bien. La bienveillance est l’acceptation de l’autre et de soi dans le respect de l’autre et de soi. Elle invite à la coopération et à l’optimisme. Elle n’exclut pas la franche opposition et le réalisme.
L’attitude de bienveillance recommandée lors de la campagne par le futur président de la république même à l’égard de ses adversaires a étonné et choqué beaucoup de personnes. Et pourtant, nous sommes las bien souvent d’entendre le personnel politique d’un bord critiquer en termes violents tout ce que leurs adversaires pensent avoir réalisé de bien. Une attitude ouverte vise à sortir du piège de l’anathème perpétuel : considérer l’adversaire politique comme un ennemi conduit à renoncer à la paix et à la prospérité, car on trouve toujours un coupable pour ce qui ne va pas dans son sens. Mais c’est plus facile à recommander qu’à faire. Cela suppose un travail sur soi qui est rare dans le monde de la compétition généralisée qu’est la politique.
La communication directe où l’on dit franchement ce que l’on pense et ce à quoi l’on croit sans se dévaloriser ni dévaloriser l’autre réclame tout un apprentissage de langage et de comportement.
Comment notre président a-t-il fait cet apprentissage ?
Je fais l’hypothèse que c’est dans les ateliers-théâtre de sa jeunesse. Le travail d’improvisation qui consiste à se mettre à la place d’un autre sous le regard d’un groupe de pairs et de s’exprimer comme il le ferait est une excellent préparation, utile pour tous ceux qui veulent faire profession de s’occuper des autres. On s’en sert aussi dans les jeux de rôle du développement professionnel et personnel.
Paris, octobre 2017
[1] Agnès Le Guernic : Etats du moi, transactions et communication. Savoir enfin que dire après avoir dit bonjour. Dunod, sur les positions dans la relation.)
Bonjour Agnès;
superbe passage en revue de la communication à travers l’AT et la systémique, aussi clair et exhaustif que d’habitude. Tu pourrais donner un exemple de communication nouvelle d’Emmanuel Macron, à travers une transaction particulièrement intéressante dans un discours ou une entrevue? Odile
J’ai complété le texte pour répondre à cette proposition. Merci.
Bravo Agnes ! C’est lumineux !