Le titre du livre nous indique l’essentiel de son propos : les enfants qu’on place dans des foyers éducatifs ou des maisons d’enfants pour les protéger de la maltraitance ou des défaillances de leur entourage, restent toute leur vie marqués par le regret du chez soi perdu.
Le chez soi est le lieu des premiers attachements où se construit ou non la sécurité de base de la personne. Tout placement suppose un déplacement, un arrachement et ce déplacement sera bien souvent suivi de beaucoup d’autres. Comme le constate Nada Abillama-Masson « l’ensemble des situations familiales dont dépendent les jeunes rencontrés sont inscrites dans des phénomènes de dysparentalité. De ce fait, ils se retrouvent dans cette répétition de « ce qui ne va pas » et connaissent des moments de séparation-rupture et de séparation-abandon [2]».
Pourquoi en effet retirer un enfant à sa famille ? Parce qu’on l’estime en danger et pour éviter une situation qui serait pire. Elle fait l’historique des modalités de placement dans les différents lieux d’accueil. Au travers de divers cas d’enfants, elle nous raconte le cadre de vie cahotique, les situations d’errance, l’absence de règles de vie élémentaires, la marginalité, l’isolement familial, un héritage de maltraitance, d’abus sexuels, d’abandons, les mauvaises relations avec les parents, la mère, le beau-père. Elle donne la parole à ces enfants. Leur témoignage est poignant.
Mais « on ne sépare pas pour séparer. On sépare pour un travail d’individuation et d’autonomisation ». Il s’agit d’aider le jeune à devenir capable de nouer des liens pas trop conflictuels avec autrui et de travailler. Les éducateurs avancent sur plusieurs axes : l’axe cognitif (apprendre à l’école), social (respecter les règles de vie en société), affectif (se respecter), familial (ré-aménager les liens avec sa famille). Nada Abillama-Masson a rencontré un certain nombre de ces jeunes, cherchant à savoir comment ils se construisent dans ces déplacements et se reconstruisent. Elle nous raconte comment éducateurs et enfants vivent la situation et pose la question de la résilience possible quand ils rencontrent des adultes bienveillants et efficaces.
J’ai été intéressée par le développement de l’idée de l’importance d’un chez soi, source de sécurité. Une institution n’est pas un chez soi. Les enfants qui vont d’un foyer d’accueil à un autre ne peuvent revenir dans un lieu antérieur comme on peut revenir dans sa famille.
En même temps je me suis posé une question : ces enfants en mal d’un chez-soi peuvent-ils être aussi en quête d’un chez-soi ? Je verrais dans cette quête quelque chose d’un mouvement de survie et d’une aspiration à construire eux-mêmes plus tard un foyer, source de sécurité. Ont-ils l’espérance et le rêve d’en construire un qui soit plus sûr que celui de leurs parents ?
Nada Abillama-Masson ne répond pas à cette question qui est peut-être prématurée. Elle se préoccupe de savoir comment ils comprennent et acceptent d’avoir été placés et comment ils utilisent le lieu d’accueil : « Je cherchais à entendre et à comprendre d’une part ce que cela leur a fait de vivre ailleurs et d’autre part ce qui était pris et entendu du projet initial des travailleurs sociaux »[3]. Elle compare l’éducateur spécialisé à un « compagnon-passeur ».
Que savons-nous des éducateurs spécialisés, de leur travail et de leur rôle dans la société : pas grand chose ! Que savons-nous des personnes dont ils s’occupent ? Pas grand chose non plus, qu’il s’agisse des jeunes ou de leurs familles.
Ce livre nous apporte des réponses. Il nous informe sur l’institution, son histoire, ses pratiques ; il apporte une réflexion bien venue sur le métier d’éducateur spécialisé et donne la parole aux bénéficiaires de l’aide sociale à l’enfance. Il est intéressant, criant de vérité, émouvant. Je vous en recommande à tous la lecture.
Agnès Le Guernic, analyste transactionnelle.