La crise entraine la défiance : défiance à l’égard des financiers, des politiques, des intellectuels, des étrangers et même des chômeurs ! Mais en France, on n‘aurait pas besoin de crise pour vivre dans la défiance, si l’on en croit les trois économistes qui viennent de publier « La fabrique de la défiance et comment s’en sortir »[1].
Ils observent en effet que, depuis l’après guerre, la hausse des niveaux de vie dans les pays industrialisés ne s’est pas accompagnée en France d’une hausse significative du bien-être, à l’inverse de ce qui s’est passé dans les autres pays. Ils l’attribuent à la défiance généralisée envers l’autre, fruit des conditions dans lesquelles les petits français sont socialisés dès l’école primaire : enseignement vertical dominant et absence générale de travail en groupes, élitisme forcené qui se prolonge ensuite dans le monde du travail. Une société hiérarchique conditionne les choix des adultes dans l’école et celle-ci reproduit la société.
S’ils disent vrai, ce dont je ne doute pas, nous avons là un champ ouvert pour changer les choses. Les analystes transactionnels français, qui sont inévitablement aussi de culture anglo-saxonne, échappent à la malédiction : ils sont formés à la conduite des groupes, à la coopération, aux relations contractuelles ; ils croient aux apprentissages tout au long de la vie et à la co-responsabilité. La théorie de l’AT nous offre certes des moyens d’analyser les méconnaissances et les jeux psychologiques, mais c’est surtout la philosophie de l’A.T. qui nous sera utile. Elle est optimiste et cohérente : le contrat permet de structurer la relation dans un esprit d’égalité et de responsabilité de façon à ne pas penser pour l’autre et à ne pas décider à sa place. L’ok-ness est l’état d’esprit, le parti pris, qui rend possible l’action commune et la coopération. La conscience de l’Adulte pousse au réalisme, avertit contre les illusions et les préjugés. Les valeurs du Parent sont garantes de l’éthique et du respect de l’autre. La spontanéité de l’Enfant est valorisée. L’autonomie est l’objectif visé.
Dans l’école d’aujourd’hui, les bonnes pratiques existent, mais elles ne sont pas assez encouragées par une société sous l’influence d’une « logique industrielle »[2] qui privilégie l’efficacité et l’acquisition exclusive des connaissances aux dépens des compétences sociales. Elles deviennent donc minoritaires. C’est pourquoi dans le livre que j’ai écrit avec Françoise Hénaff et Christiane Salon : Un élève est aussi un enfant[3], nous avons choisi de décrire la vie des enfants dans l’école, de montrer tout ce qui peut être fait pour les aider à grandir et d’illustrer comment, avec l’AT, construire un enseignement ouvert et propre à établir des relations saines entre les enfants, entre les adultes et entre les enfants et les adultes. Très concrètement, nous montrons ce qui peut être fait à l’école pour créer des rapports sociaux reposant sur la confiance en soi, en l’autre et dans les forces de vie. Face à la crise, l’analyse transactionnelle a donc des propositions à faire.
[1] LA FABRIQUE DE LA DÉFIANCE… ET COMMENT S’EN SORTIR de Yann Algan, Pierre Cahuc et André Zylberberg. Albin Michel, 300 p.
[2] Le terme est emprunté à Luc Boltanski et Laurent Thévenot : De la justification : les économies de la grandeur, NRF, Essais, Gallimard 1991
[3] UN ÉLÈVE EST AUSSI UN ENFANT, de Françoise Hénaff, Agnès Le Guernic et Christiane Salon, InterEditions, janvier 2012