Toni Morrison et « les demi-sœurs de Cendrillon »[1],

 Toni  Morrison dans ce discours aux étudiantes de la faculté Barnard à New York en 1979 aborde le risque et la tentation d’asservissement de femmes par d’autres femmes dans un monde où les femmes quel que soit leur milieu d’origine pourront accéder au pouvoir. C’est un problème contemporain. Lorsqu’il était dirigé contre d’autres femmes,explique-t-elle, le pouvoir féminin s’est historiquement exercé d’une façon que l’on a qualifiée de « masculine ». Les étudiantes de Barnard seront bientôt en mesure de l’exercer de même.

Pour les mettre en garde contre ce risque, elle se réfère au conte de fée « Cendrillon »,  largement lu aux enfants de maternelle et se demande comment pourront grandir les demi-sœurs de Cendrillon, élevées par une mère qui asservissait une autre fille. Elles ne sont pas laides, maladroites ou idiotes. Elles sont de condition élevée et doivent visiblement devenir des femmes de pouvoir. Elles ont vu ce qu’est la violente domination d’une autre femme ; elles y ont pris part. Seront-elles cruelles quand elles seront en position d’asservir d’autres enfants ou même de s’occuper de leur propre mère ?

Toni Morrison se dit affolée par la violence des femmes entre elles, violence professionnelle, violence compétitive, violence affective ; empressement à asservir d’autres femmes. Elle invite donc les étudiantes de Barnard qui vont bientôt prendre leur place dans le monde économique et social et y occuperont le statut des demi-sœurs, à rompre avec une manière d’exercer le pouvoir qu’on peut qualifier de « masculine ». Elle leur dit que dans la réalisation de leurs objectifs personnels elles ne doivent pas faire des choix fondés uniquement sur leur sûreté ou leur sécurité. Elle ajoute : « Rien n’est sans danger. Les choses de valeur le sont rarement. Il n’est pas sans danger d’avoir un enfant. Il n’est pas sans danger de braver le statu quo. Il n’est pas sans danger de choisir un travail qui n’a jamais été fait auparavant. Ni de faire un travail ancien de façon nouvelle. Il y aura toujours quelqu’un pour vous en empêcher. »

Tout en poursuivant les ambitions les plus élevées, il ne faut donc pas que notre sécurité personnelle diminue la sécurité de nos demi-sœurs. En exerçant le pouvoir que nous sommes persuadées de mériter, ne lui permettons pas d’asservir nos demi-sœurs.

Les droits des femmes ne sont pas uniquement une abstraction, une cause : ce sont aussi une affaire personnelle.

Le chemin qu’elle nous indique est fort. L’accent est mis sur la relation et l’engagement. Je n’oublierai pas les demi-sœurs de Cendrillon !

[1] Toni Morrison, La source de l’amour-propre, Essais choisis, discours et méditations. Christian Bourgeois Editeur, 2019

 

 

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