C’est un nouveau livre sur le mal français, écrit par trois économistes, Yann Algan, Pierre Cahuc et André Zylberberg, qui s’appuient sur des données statistiques précises pour décrire l’étendue des ravages en France de la défiance généralisée. « La défiance est au cœur de notre mal. Elle détruit inexorablement notre lien social. Nous souffrons d’un manque de coopération et de réciprocité .. Le fonctionnement hiérarchique et élitiste de l’école nourrit celui des entreprises et de l’état. »
Je n’ai pas l’habitude de me complaire dans les analystes pessimistes sur l’école. J’en ai lu suffisamment pour préparer notre livre Un élève est aussi un enfant. Je trouve dans les ouvrages mettant en cause l’école beaucoup trop d’idées préconçues, mais ces auteurs abordent le sujet d’un point de vue nouveau, celui d’économistes qui intègrent les notions de bien-être à l’évaluation des performances comparées des pays et voient dans le mal-être général la conséquences du manque de coopération entre les français. Ils en en détectent l’origine dans le manque généralisé de confiance en l’autre.
La défiance est-elle affaire de culture ? de mentalité ? Comment font les autres ? La thèse des auteurs est tout simplement que la coopération s’apprend dès le plus jeune âge à l’école et que la pratique d’un enseignement vertical, axé sur la transmission exclusive du savoir, avec la préoccupation du classement et la compétition qui en résultent sont source de défiance envers autrui et de manque de confiance en soi. C’est ce qui explique que les petits français préfèrent ne pas répondre de peur de se tromper. C’est effrayant !
Les auteurs rejoignent la description du système d’enseignement français que nous donnons dans notre livre Un élève est aussi un enfant . Ce système privilégie la parole du maître et le silence des élèves dont on attend qu’ils écoutent et recopient les notes écrites au tableau. A ce sujet, lire le chapitre 4 de La fabrique de la défiance : « Apprendre en silence ». La transmission du savoir domine. On se focalise sur le programme (p 73). Les activités collectives et le travail en groupe sont rarissimes. 2/3 des élèves n’ont pas le souvenir d’avoir jamais travaillé en groupes. Ces dernières années, le phénomène s’est renforcé. Le modèle de l’enseignement frontal s’est généralisé.
A l’inverse quels sont les avantages d’un enseignement horizontal ? La croyance très forte dans les bienfaits de la coopération entre élèves, de la confiance dans les autres, apprentissage qui se fait par la participation active à des groupes et à des projets collectifs. Nous y ajoutons la pratique des langages spécifiques des disciplines. Le langage s’apprend en situation. Le travail en groupes est une situation fonctionnelle de partage des savoirs et d’apprentissage de la communication.
Un autre chapitre est consacré à l‘école : le chapitre 6 : Tous nuls (ou presque ? ). Il développe les effets de l’évaluation précoce : l’absence de plaisir, l’humiliation et la perte de l’estime de soi. Plus d’un enfant sur deux ne se sent pas bien à l’école.
Ce système se retrouve dans le monde du travail avec son lot de stress et de démotivation. Les français ont le sentiment de vivre dans une société où la coopération est l’exception plus que la règle. Or rétablir la confiance, c’est améliorer le bien-être et la performance économique. Il y a un lien entre la confiance des élèves, leurs résultats scolaires et leur insertion sociale et entre celle des salariés, leur motivation et leur production.
Mon point de vue sur ce sujet :
Notre expérience de pédagogues va dans le même sens . Dans notre livre nous décrivons une manière de faire autrement qui existe encore ici et là mais n’est pas encouragée. Nous parlons aussi de ce qui a toujours manqué : une formation professionnelle axée sur la connaissance des groupes, la pratique du travail en groupes à certains moments et l’adaptation à la diversité des élèves, avec à la clé la bienveillance. Nos élèves/enfants grandissent sous nos yeux. Ils sont la vie, l’avenir.
Les enseignants ont besoin de savoirs pédagogiques appliqués. Ils doivent comprendre que tous les apprentissages passent par la parole et l’écoute de l’autre. Dans une transmission de savoir de type vertical, seule la parole du maître compte, mais qu’est-ce qui l’empêche de se transformer en ronronnement ? La parole de l’enfant se tourne en bavardages faute d’avoir une place légitime et structurée.
Les enseignants ont besoin de connaissances en psychologie de l’enfant et de l’adolescent. Il s’agit de personnes en construction : le corps, les émotions, le fonctionnement de la pensée se développent un peu plus chaque jour.
L’estime de soi, la confiance en soi se construisent dans l’enfance. A l’école, c’est la prise de risque calculée : essais, erreurs, dépassement de la frustration, expérience de la satisfaction, renforcée par l’écho donné par l’adulte bienveillant.
La confiance en l’autre se construit lors des échanges, des travaux en commun dans les petits groupes et lors des projets collectifs.
Tout apprentissage dans nos sociétés complexes est en lien avec la maîtrise du langage qui s’apprend et s’entretient par la pratique.
Ce que nous recommandons avec les élèves devra être fait avec les professeurs. Ils sont seuls dans leur classe, ils redoutent tout regard extérieur, qu’il s’agisse de celui de l’inspecteur, du directeur ou de leurs collègues. Leur solitude est mortifère. On ne peut apprendre à travailler en groupes qu’en travaillant soi-même dans des groupes consacrés par exemple à l’analyse des pratiques professionnelles. On y confronte la diversité des expériences en procédant avec un contrat portant sur les objectif et les règles de fonctionnement. C’est ainsi que nous avons écrit notre livre à trois.
J’imagine que ce fut aussi le cas des trois économistes auteurs de La fabrique de la défiance et comment s’en sortir. Il est bon d’appliquer ce que l’on préconise !