Le harcèlement sexuel, une affaire de pouvoir et d’abus de pouvoir

Claude Steiner, analyste transactionnel américain, dans son livre « L’autre face du pouvoir »[1], a décrit de manière très complète les rapports de force et de contrôle entre les personnes et proposé des stratégies pour les limiter et en sortir. Il s’intéresse en effet à l’aspect psychologique et sociétal de la domination sur l’autre et propose des solutions de résistance face à ce qu’il nomme « les jeux de pouvoir ». Ces jeux de pouvoir sont conscients, délibérés, appris dès l’enfance. Il s’agit de forcer l’autre, d’obtenir de lui quelque chose qu’il ne  donnerait pas même si on le demandait. Ceux qui détiennent un pouvoir font tout pour le garder, c’est pourquoi malgré les sérieux progrès obtenus par elles ces cinquante dernières années, « les femmes du monde entier  continuent à mener une vie sous le signe de la persécution, de la pauvreté et de la dégradation, situation inchangée au cours de siècles ». D’où l’importance de regarder de près comment ça fonctionne.

 Sa grille d’identification peut être utile pour les victimes. Il distingue en effet plusieurs catégories dans l’exercice du pouvoir sur l’autre :

  • le pouvoir physique qui s’exerce par le corps
  • et le pouvoir psychologique qui passe par les mots.

Dans chacune de ces deux catégories l’exercice du pouvoir peut être grossier, donc visible ou subtil et plus difficile à identifier et à décrire.

 Cette grille s ‘applique à la sexualité, la description du mécanisme de domination étant particulièrement éclairante. Elle peut aider les victimes à décrire ce qu’elles subissent.

Dans la catégorie des jeux de pouvoir physiques où l’on utilise son corps, quand ils sont grossiers et violents, ce sont les coups, la menace de mort avec une arme, l’agression de nature sexuelle comme le viol. Ce sont les seuls qui sont considérés comme relevant du tribunal. Face à ce type de situation, il est légitime de vouloir d’abord sauver sa vie.

Quand ils sont subtils le corps est utilisé pour faire pression et intimider : barrer le passage, toucher l’autre comme si de rien n’était, envahir son espace ; le positionnement dans l’espace (pensons au rôle de l’estrade dans les classes, à la disposition des meubles dans un bureau destinée à faire en sorte que l’autre se sente fragilisé) mais aussi le luxe des vêtements, prolongement du corps, renforcent les effets de pouvoir comme source potentielle de domination.

Le volant psychologique grossier c’est la menace verbale orale ou écrite, les injures, le chantage (vous perdrez votre boulot  si…!), les propositions sexuelles grossières, les jeux de mots provocants ou dévalorisants, les mensonge. Toujours difficile à prouver si on n’a pas gardé de trace physique des messages.

Les pressions psychologiques subtiles sont plus difficiles à caractériser : plaisanteries, allusions, jeux de mots, histoires à double sens, irruption du sexuel dans le domaine professionnel, mensonges par omission, conditionnement publicitaire.

Steiner pense qu’une majorité d’entre nous est entrainée à obéir depuis l’enfance et à se soumettre à ceux qui ont le pouvoir. C’est en rapport avec la structure familiale de type patriarcal qui donne raison aux mâles dans la vie quotidienne du petit enfant. Pour réussir dans une société de compétition, on exploite la faiblesse de l’autre. Et les prédateurs devinent à qui s’attaquer et qui éviter. Son livre nous enseigne comment, à titre personnel,  se libérer du contrôle subi mais aussi de la tentation de contrôler l’autre.

Pour la personne qui veut éviter la position de Victime, il s’agit d’identifier le jeu de pouvoir, de faire dévier la manœuvre et de choisir une stratégie créative en guise de réponse. Le travail passe par le renforcement de la conscience de soi, de ses droits et de sa valeur pour ne pas partir battue d’avance. Il faut refuser de continuer à être une victime et se dire dans sa tête : Je ne me laisserai pas faire !

Regardons en effet ce qui se passe quand un homme fait pression sur une femme pour obtenir quelque chose qu’elle refuse : soit elle  cède parce qu’elle est vulnérable (elle ne voit pas où est le problème, se sent obligée d’obéir sans faire d’histoires, ou encore elle  refuse clairement et fait un peu de bruit. Dans ce cas, il augmente la pression. C’est le plus fort qui gagne. La protestation est limitée à cause de la pression externe et interne qui pèse sur les femmes en matière de sexualité : on ne fait pas de bruit, on est sage, on est douce et raisonnable ; celle qui attitre l’attention est coupable.

Il y a des femmes réputées pour ne pas se laisser faire  et qui répondent à l’attaque par l’attaque. Pour réagir en attaquant  il faut dépasser la crainte du scandale, des hurlements, de la violence verbale. Crier, s’indigner pour obtenir l’attention et semer la peur dans le camp adverse n’est pas à la portée de la plupart des femmes à cause de leur éducation. Si elles veulent se lancer là-dedans il leur faudra avoir de bonnes raisons (se faire respecter en est une) et s’entraîner. Il faut donc au départ sortir de la position de victime alors même qu’on est objectivement victime des passions et des goûts du prédateur et prendre le risque insupportable de celle de persécutrice mal élevée.

Un bon exemple de situation exceptionnelle se trouve dans le film jubilatoire « La journée de la jupe » où Isabelle Adjani, prof de banlieue jusqu’ici acharnée à procurer à ses élèves éducation et connaissances, armée d’un revolver, disait enfin à sa classe réunie dans la salle de sport, où elle s’était enfermée avec eux, tout ce qu’elle avait sur le cœur. Tout le monde n’a pas un revolver pour renverser le rapport de force, mais certaines femmes pratiquent des sports de combat pour se défendre.

Contrattaquer verbalement demande de l’assurance. Marlène Schiappa en est un bon exemple. Interrompue à la tribune  par les cris de députés hostiles quand elle défendait les droits des femmes elle leur a sorti « Gardez vos nerfs ! ». La réplique les a fait taire.

En dehors de se soumettre ou d’escalader, y-a-il d’autres  choix ? Steiner croit que oui, mais cela concerne les jeux de pouvoir classiques.  Il propose la coopération et une stratégie de lâcher prise subtile qui consiste à sortir des rapports de force. La coopération suppose de se situer à égalité pour négocier et que chacun cherche son intérêt et accepte que l’autre suive aussi son intérêt.  Sortir de la relation de pouvoir entre homme et femme veut dire qu’on est de même force et qu’on va créer d’autres types de relations. C’est là qu’intervient la créativité.

Le travail effectué depuis quelques années par des associations d’aide aux femmes va dans ce sens. Il a l’avantage d’être collectif et de chercher à les mobiliser.

Une première piste  est de d’enseigner la loi et de la rappeler : afficher les peines encourues, distribuer des documents les rappelant, donner les définitions des abus sexuels, rappeler les règles de déontologie, informer sur les aides aux victimes. Sur le lieu de travail, la place est au travail. Ailleurs ce qu’il fait regarde chacun.

Autre choix : s’appuyer sur la solidarité militante des autres femmes, des collègues  et des amis au travers des réseaux, des lieux d’écoute et de partage. Ce milieu nourricier et combattif protège et soutient.

L’information des filles et des garçons, la dénonciation des abus sont essentiels : Les travaux d’éducation des associations sont intéressants : je pense à celle qui a installé à Bruxelles des panneaux d’affichage où des femmes venaient écrire les injures dont elles étaient abreuvées dans la rue. L’étendue des agressions apparaît alors.  Il doit aussi être possible de conduire des groupes de parole où les unes et les autres confieront comment elles ont réussi à déjouer un harcèlement, comment elles ont maitrisé leur peur. Un peu de créativité fait du bien.

Quand des garçons interrogés répondent que les filles cherchent à obtenir leur attention et leurs remarques en s’habillant de manière provocante, elles répondent qu’elles s’habillent pour elles et pas pour leur plaire, ce qui n’empêche pas certaines erreurs de jugement car vouloir à tout prix casser les codes comporte des risques. S’ils croient sincèrement qu’elles envoient des signaux pour être sexuellement sollicitées et bousculées, c’est qu’ils sont prisonniers de leurs représentations des femmes, mais elles aussi ont à réfléchir sur l’adaptation raisonnable en milieu hostile.  Se parler et s’écouter dans un cadre où l’on peut s’entendre les uns les autres serait une bonne chose.

Je crois beaucoup aux groupes de parole où l’on prend de l’assurance, où l’on échange idées et recettes, tout en se soutenant. Les jeux de rôle permettent de se mettre concrètement à la place des autres, d’élargir sa vision du monde et  de créer du nouveau.

[1] Claude Steiner : L’autre face du pouvoir, version française : Desclée de Brouwer 1995

Qui va éteindre la lumière? Les groupes peuvent-ils fonctionner sans leader responsable ?

 Lors d’une conférence donnée le 12 mars 2011 à la médiathèque de Tulle sur « les conflits au travail et à la maison », une personne m’a posé la question de la gestion des conflits dans des groupes qui ont décidé de fonctionner sans leader.

Je soutenais en effet que la responsabilité de régler les conflits dans le groupe appartenait au leader du groupe[1] et que toute intervention d’un membre pour le faire risquait d’entrainer une compétition avec le leader et de  devenir une source de jeux psychologiques, d’où la nécessité pour les membres soit de s’abstenir, soit d’élaborer une stratégie prenant en compte la situation particulière, comme par exemple de faire alliance avec des collègues pour poser collectivement le problème afin qu’on ne puisse plus faire comme s’il n’existait pas.

Que se passe-t-il alors dans les groupes à fonctionnement coopératif qui ont décidé que tout le monde était responsable de tout? D’où ma question : Qui éteint la lumière quand l’activité est terminée ? En général quelqu’un en est chargé et s’il oublie, c’est le leader qui le fait, c’est à dire la personne qui est responsable que le groupe atteigne son objectif et que le contrat initial soit réalisé. Comme le capitaine d’un navire, il est le dernier à partir.

Nous avons des exemples de fonctionnement coopératif dans les groupes d’AT, tels que les groupes de pairs qui se veulent des groupes « sans chef », où le fonctionnement est contractuel avec répartition des tâches et animation tournante. Nous y fonctionnons avec des rôles contractuels où chacun agit comme convenu et où l’on débat dès qu’une difficulté apparaît. Mais nous sommes aidés par notre culture du contrat et nos habitudes de communication qui réduisent certains risques. En plus, les groupes sont réduits. Ils fonctionnent de manière ponctuelle et non pas dans l’activité régulière comme dans la vie professionnelle. Ils peuvent donc éviter un bon nombre de problèmes. La notion de rôle contractuel que j’ai empruntée à Fanita English et la pratique de ces rôles peuvent rendre grand service à tous. Elles ont leur place dans la formation de chacun à la vie en démocratie.

Il n’empêche que la question de la responsabilité de gérer les conflits dans le groupe peut se poser là aussi. En cas de conflits d’intérêt ou d’oppositions liées à une compétition, qui doit se charger de régler le conflit puisqu’il n’y a pas de leader responsable ? Ce devrait être le plus compétent, intervenant avec l’accord des autres. Le risque est que personne ne le fasse. Je continue donc de croire que la gestion des conflits dans un groupe fait partie des tâches du leader et que s’il n’est pas compétent pour le faire, le groupe est dans l’embarras. La solution est alors de faire appel à un médiateur venu de l’extérieur, ce qui est souvent vécu comme un échec et ne donne pas forcément de résultat.

J’ai eu dans ma vie d’inspectrice chargée de circonscription primaire des occasions d’avoir à traiter de conflits entre les personnes dans des secteurs dont j’avais la responsabilité. L’analyse transactionnelle m’a été utile pour faire un diagnostic et pour intervenir dans un sens résolutoire. L’approche systémique inspirée de l’école de Palo-Alto m’a permis de regarder le fonctionnement du système et m’a apporté aussi une manière d’intervenir spécifique. Il s’agissait de cas importants de blocage du système au niveau d’un groupe.

En voici un exemple : Il s’agissait d’un internat du premier degré accueillant des enfants de 6 à 11 ans. L’encadrement des enfants était assuré par des éducateurs spécialisés ayant reçu une formation spécifique et qui habitaient sur place avec leur famille. Comme ils n’étaient pas assez nombreux pour assurer le service, le personnel était complété par des normaliens débutants, sans formation spécialisée, qui se destinaient au départ à l’enseignement et n’avaient pas obtenu de poste en classe primaire.

Le contrat professionnel de départ pour chaque catégorie était différent :

  • Les éducateurs spécialisés étaient reconnus par l’institution et fonctionnaient dans le cadre d’un contrat clair ; ils étaient mieux payés que les instituteurs ;
  • Les normaliens étaient utilisés pour des tâches non prévues pour lesquelles ils n’avaient pas été formés ; ils étaient payés comme les autres instituteurs ;

Le problème institutionnel se reproduisait chaque année et ce n’est pas moi qui pouvais le régler. En revanche, cette année-là, un grave conflit s’est déclaré entre ces deux catégories de personnels au sein de l’établissement et le directeur m’a demandé d’intervenir. J’avais la légitimité pour le faire.

Voici comment j’ai procédé : Je les ai tous réunis dans une grande salle. J’avais préparé deux paperboards, un pour chaque catégorie. J’ai demandé aux normaliens de me dicter ce qu’ils attendaient de leurs collègues, éducateurs spécialisés ; puis j’ai demandé aux éducateurs spécialisés de me dicter ce qu’ils attendaient de leurs collègues normaliens. Je les ai laissés lire tout ce qui avait été formulé et leur ai demandé ensuite leurs réactions à cette lecture. Ce fut tout.

Le dispositif mis en place les obligeait à écouter le point de vue des autres et à le comprendre mieux. L’aspect commun de leur mission : le soin à de jeunes enfants, a permis le dépassement du conflit.

L’AT m’avait donné le contrat, la pratique de la régulation de groupes ; l’analyse systémique, l’attention portée au fonctionnement du système et la pratique de la connotation positive (chacun fait ce qui lui semble le mieux et qu’il sait faire). J’avais donc un fil pour me diriger.

C’est pourquoi il serait bon, à mon avis, de former les responsables de l’éducation à ce type d’analyse et d’interventions pour qu’ils puissent assumer totalement leur fonction de leader : s’ils ne le font pas parce qu’ils ne sont pas compétents, les situations pourrissent et les jeux psychologiques se multiplient. Il serait utile aussi de développer la pratique des rôles contractuels pour entrainer les personnes à la prise de responsabilité sur une base contractuelle qui donne une légitimité, de façon à ce qu’il y ait toujours quelqu’un pour penser à éteindre la lumière en sortant !

[1] La structure d’un groupe de travail selon Berne comprend la zone des membres et la zone de leadership. La personne qui m’a interrogée nous a dit appartenir à un groupe de travail sans leader, ce qui pose autrement le problème de la responsabilité.

 

Couples en confinement : Bonjour, les jeux psychologiques

Enfin seuls est-ce vraiment intéressant?

De trop peu à trop :

Etre confiné chez soi pendant trois semaines ou plus avec son amoureux ou son amoureuse, son copain, sa copine, son conjoint, sa conjointe ne devrait pas poser de problèmes. Comment l’autre dont la présence nous manquait tant dans la vie antérieure pourrait-il devenir de trop ? Pourtant, rien n’est simple. Nous avons vu que la satisfaction de nos besoins fondamentaux était rendue difficile par la situation de confinement, d’où le risque plus grand de disputes, suite à des conflits entre les besoins de l’un et ceux de l’autre. L’impossibilité de sortir pour se changer les idées va aussi compter : les stratégies habituelles de désescalade dans les disputes ne sont plus disponibles. On parle déjà du nombre de divorces au sortir de la crise tout autant qu’on parle du nombre de naissances dans neuf mois.

 Il importe donc d’identifier les situations à risque. Les problèmes peuvent venir des jeux psychologiques favoris de chacun. Les jeux psychologiques sont des séquences comportementales complémentaires automatiques, apprises dans l’enfance et qui ne sont pas conscientes. Les disputes par lesquelles ils se manifestent peuvent être anodines (premier degré des jeux) ; elles peuvent déboucher sur une rupture (deuxième degré) ou sur la violence (troisième degré). D’où l’intérêt de les repérer afin d’éviter toute escalade. Sinon elles peuvent devenir lourdement dommageables.

Parmi les jeux conjugaux[1], j’ai choisi trois modèles de jeux à deux correspondant à la situation de confinement à deux : celui de « Sans toi », celui de « Ereintée » et celui de « Coïncé ».

 Dans le jeu de « Sans toi », la femme reproche à son mari de l’empêcher de travailler, alors qu’en fait elle a inconsciemment peur du monde extérieur. Elle se plaint auprès de ses amies et passe pour la victime d’un tyran. Lui est terrifié à l’idée de rentrer un jour à la maison et de découvrir qu’elle est partie et qu’il est seul. Les deux personnes ont fait alliance en secret entre leurs états du moi Enfant.

Berne, en homme de son époque, nous propose le dialogue suivant au niveau social :

–      Reste à la maison et occupe toi du ménage

–      Sans toi j’aurais pu faire une carrière de concertiste

Avec, au niveau caché, un échange différent :

–      Tu dois toujours être à la maison quand j’y rentre. Je suis terrifié à l’idée que tu puisses m’abandonner

–      Je resterai à la maison si tu m’aides à éviter les situations dont j’ai peur ;

La femme a donc épousé un homme autoritaire de façon à ce qu’il restreigne ses activités à elle, lui évitant de se mettre dans des situations qui l’effraient. Au lieu de lui manifester sa reconnaissance, elle se plaint des limitations, ce qui met son conjoint mal à l’aise. Son avantage est qu’elle peut jouer à « sans lui » avec ses amies. La femme rejette en fait sur son mari la responsabilité du choix qu’elle a fait en l’épousant. : « Ah si je ne t’avais pas épousé, je n’aurais pas renoncé à mon métier pour toi, je pourrais sortir et m’amuser au lieu d’être cloitrée dans ma cuisine ! » Il faut que le partenaire partage un peu de la culpabilité pour que ça marche. Le jeu est caractérisé par la mauvaise foi. En général les couples s’apparient pour des raisons de complémentarité, chacun entrant inconsciemment dans le jeu favori de l’autre. Le mari peut être aussi dans le rôle de la victime qui se plaint. Nous ne sommes plus à l’époque de Berne ! A notre époque où nous sommes devenus sensibles à l’influence du fonctionnement resté patriarcal de la société, nous pouvons imaginer la situation inverse. Que de personnes talentueuses certes, mais effrayées par l’idée de ce qu’elles devraient entreprendre si elles devaient réaliser leurs ambitions, se plaignent d’avoir un conjoint ou une conjointe autoritaire, qui les empêche de faire ce qu’elles n’osent pas faire. Cela leur permet de jouer à « Sans lui, Sans elle, Sans les enfants, Sans… »que ne ferais-je pas?

Le jeu de « Coïncé » consiste à refuser avec hypocrisie de donner à l’autre ce qu’il veut et de faire comme si on l’ignorait. Voici la situation décrite par Berne : Madame Leblanc propose à monsieur Leblanc d’aller au cinéma. En général quand ils vont au cinéma ils font l’amour au retour. Mais cette fois une dispute éclate à propos de l’argent qu’il faudrait avoir pour repeindre la maison. Le résultat final c’est que Monsieur Leblanc claque la porte et va seul au cinéma et que sa femme se retrouve pleine de rancune. Au retour, il sera privé de sexe, mais elle aussi. La femme souhaite être « cajolée » selon le terme de Berne. Le mari voudrait qu’on reconnaisse son héroïsme pour subvenir aux besoins du ménage. Elle voudrait des caresses physiques ; lui des signes d’admiration. Chacun refuse de donner à l’autre ce qu’il espère, pour une raison quelconque.

Berne dit que la plupart des jeux conjugaux sont destinés à éviter l’intimité. En période de confinement, le choix d’un film à regarder ensemble peut faire l’affaire. Les corvées ménagères mal réparties jouant le rôle de l’argent qu’on n’a pas pour repeindre la maison. Les sources de frustrations nombreuses sont autant d’occasions pour hameçonner son (ou sa) partenaire.

Le jeu de « Ereintée » concerne les femmes surchargées de tâches, les ménagères qui font face à tout et sont bonnes pour le burn-out. Ces femmes se marient, dit Berne , avec le fantasme que leur mari a de sa propre mère qui faisait soi-disant tout parfaitement. Elles n’arrivent pas à renoncer à être parfaites ou à passer pour telles. Les conditions de vie modernes mettent les femmes plus en danger que les hommes. Il arrive que le mari tienne la maison quand sa femme travaille, mais est-il si fréquent qu’il le fasse en plus de son activité professionnelle ?

Les disputes de premier niveau réclament quelques remèdes de base : repérer les besoins de l’un et de l’autre, négocier la répartition de l’espace, du temps, se donner des signaux d’alerte, ne pas oublier de se dire des choses gentilles (signes de reconnaissance) qui mettent de l’huile dans les rouages, chercher le plus possible à obtenir le consentement de l’autre. C’est un fonctionnement démocratique. On peut parler de contrat.

Dans le cas du jeu « Sans toi », il faut aller plus loin, connaître ses faiblesses et accepter de prendre la responsabilité de ses choix de vie. Le jeu de « Coïncé » réclame aussi d’être honnête avec soi-même et avec l’autre : chacun connaît les points faibles de l’autre. S’abstenir d’appuyer sur ces points faibles est un bon moyen de renforcer alliance. Quant au jeu « Ereintée », je vous invite à écouter les féministes qui luttent contre le poids des préjugés de genre proposés aux filles dès leur enfance. Elles nous disent que nous n’avons pas à prendre tout sur nos épaules, que nous devons partager les tâches ménagères de façon à ne pas nous sentir éreintées au point de tomber malades.

La négociation et la bonne humeur nous donnent une chance d’éviter d’escalader dans les jeux et de mieux nous aimer. Dans le cas contraire, les couples au sortir de la période de confinement auront accumulé la rancune et se sépareront ou pire auront escaladé jusqu’à la violence contre l’autre et /ou contre soi.

[1] Eric Berne : Des jeux et des hommes, Psychologie des relations humaines, New York 1964,  Edition en français : Stock 1975Haut du formulaireBas du formulaire

Lecture féministe n° 5

Dans « Troubles dans le consentement, du désir partagé au viol » (Editions François Bourin) Alexia Boucherie a pour projet d’ouvrir la boite noire des relations sexuelles.

Après une introduction où elle affirme que le consentement sexuel est une pratique qui s’apprend,  à partir de ses enquêtes de terrain, l’auteur aborde  successivement :

  • L’ordre sexuel et ses normes
  • La fabrique des zones grises de la sexualité
  • « Je n’en avais pas envie, mais.. »
  • Apprentissages de la sexualité en hétéronormativité
  • Recevoir et produire de la violence : interpréter le viol
  • Quand l’intime devient politique : résister à l’hétéronormativité

J’ai choisi de sélectionner quelques passages qui m’ont paru particulièrement intéressants dès  qu’on réfléchit aux conditions d’une éducation sexuelle adaptée à notre époque et qu’on aborde les problèmes de violences sexuelles.

Elle donne d’abord une définition philosophique du consentement  : « Un acte par lequel quelqu’un donne à une décision dont un autre a eu l’initiative l’adhésion personnelle nécessaire pour passer à l’exécution ». On peut ainsi situer le consentement par rapport à la demande ou à la proposition : celui ou celle qui donne son consentement ne fait aucune demande. Il ou elle n’a pas l’initiative.

Autre opposition : une relation sexuelle consentie d’une qui ne l’est pas. On distingue ce qui relève de la sexualité de ce qui relève du viol.

Quelle est la légitimité à disposer du corps d’autrui ? Qu’entend-on par viol ?

Le viol, jusqu’en 1980 où la loi change, désigne un coït illicite avec une femme dont on sait qu’elle n’est pas consentante. Ensuite on admet que toute personne peut être violée et pas seulement des femmes. Un élément le caractérise :  la pénétration. L’acte de viol est cadré légalement mais pas la notion de consentement sexuel. On parle seulement de non-consentement (contrainte)

L’auteure insiste sur les conditions du consentement qui permettent d’écarter le soupçon de viol :

  • Le contexte avec la place de la liberté de chacun qui diffère selon les époques. On constate ainsi une remise à niveau des questions concernant le consentement à partir de la fin du 20ème siècle. Auparavant le corps des femmes était la propriété des hommes de la famille.
  • Le consentement peut être libre ou forcé (le oui est entre le choix et la contrainte).
  • Il doit être éclairé (dans le domaine médical et juridique, l’initiatrice du contrat doit dévoiler les composantes de l’acte).
  • Il doit être énoncé, exprimé d’où l’absence de doute.

En quoi notre pratique routinière des relations sexuelles supposées libres et éclairées est-elle troublée par les rapports de pouvoir inhérentes à un apprentissage genré du consentement ?

A l’heure où l’on prône l’égalité pour toutes pourquoi cette question du consentement est-elle si compliquée à mettre en œuvre ?

Le but de son enquête : éclaircir ce qui se trouve entre le sexe consenti et le désir, celui qui est consenti mais qui est non désiré (zone grise) et celui qui ne l’est pas (le viol).

Comment chez les individues se fait l’apprentissage des limites et des envies et le respect ou la transgression des limites dans un cadre de relations non viciées.

Les relations sexuelles les plus quotidiennes sont des lieux où s’exercent les rapports de pouvoir, d’où la nécessité de prendre en compte le contexte de la relation car nous exerçons ou subissons toutes des rapports de pouvoir dans une situation donnée en fonction des membres présentes en interaction qui influencent nos actions

On peut être critique face aux discours qui considèrent que

  • Le consentement est la traduction directe d’une envie et/ou d’un désir sexuel ;
  • Que chacun est en capacité libre et éclairée de dire oui ou non et de le verbaliser/ le montrer explicitement
  • Que les viols sont les seules relations sexuelles forcées
  • Et que toutes les autres sont- par opposition – les seules dénuées de rapports de pouvoir

La grille de lecture du genre rend compte du fait que le viol est favorisé par les rapports sociaux de sexe asymétriques. Il bénéficie d’un ancrage culturel par lequel il se perpétue que les féminismes militantistes appellent « culture du viol », les violeurs étant des hommes proches (famille, amis, voisinage).

Sexe et obligation :

Si les hommes hétérosexuels considèrent que leurs pratiques sont guidées quasi exclusivement par leurs envies, les femmes sont quant à elles plus conscientes de l’obligation que peut représenter le rapport sexuel dans leurs relations affectives et choisissent de s’y conformer ou non. Cela n’indique pas que les hommes sont entièrement libres mais les techniques de rationalisation divergent selon les positions sociales des individues au sein de la matrice hétérosexuelle.

Elles pouvaient dire non mais elles ont dit oui aux préliminaires, ce qui a laissé entrevoir qu’elles désiraient cette relation. Ce type d’argument persiste jusque dans les procès pour agressions sexuelles et viols. C’est la zone grise par conformité.

Le livre contient des extraits d’entretiens qui illustrent les différents points de l’enquête.

Sortir des conflits : ce qu’en dit José Grégoire

Voici la préface écrite par José Grégoire pour mon livre : « Sortir des conflits ».

Que cela nous convienne ou non, nous transitons régulièrement par le pays du conflit. Certains d’entre nous en ressentent les paysages comme vivifiants, d’autres les perçoivent comme arides ou effrayants, mais de toute manière il ne nous appartient pas de décider une fois pour toutes de n’en jamais franchir la frontière ! 

Le livre d’Agnès Le Guernic ressemble à un voyage aller-retour dans ce pays. La première étape, l’aller, nous permet de nous y orienter. Nous découvrons ainsi un territoire bien plus vaste et bien plus varié que peut-être nous ne le croyions. Car il y a conflits et conflits. D’abord, ils se jouent dans des espaces d’amplitudes différentes, depuis l’intérieur de la personne jusqu’à la société. En outre, ils émanent de sources diverses. L’auteur en détaille quatre : nos différences de tous types, notre style relationnel, nos intérêts et la recherche du pouvoir.

Chemin faisant, nous rencontrons différents concepts de l’analyse transactionnelle ou d’autres approches psychologiques qui éclairent nos besoins, nos relations interpersonnelles, nos perceptions plus ou moins biaisées du monde et de notre vie, et nos manœuvres ouvertes ou secrètes pour briguer le pouvoir. Ces notions, issues des théories psychologiques et linguistiques, sont éclairées par des exemples de la vie quotidienne, par des souvenirs tirés de la longue expérience de l’auteur dans l’enseignement et dans la formation, et par des épisodes tirés des médias. Elles sont présentées pour ce qu’elles sont dans leur essence : des expressions conceptuelles des aspects multiples de notre vécu quotidien.

Pour le voyageur curieux, il y a là amplement de quoi s’étonner des ressources et des complexités, mais aussi des pièges du psychisme humain. Le professionnel des relations pourra s’inspirer de la manière concrète et profonde qu’a l’auteur de les expliquer. Mais le but prioritaire de l’ouvrage est de déboucher sur une action, celle qui permettra au lecteur de résoudre autant que possible les conflits où il se trouve engagé ou coincé, à condition qu’il soit « client », c’est-à-dire disposé à s’investir activement dans cette démarche.

Dans cette perspective, descriptions vivantes et concepts éclairants ne constituent que la première étape de la démarche, qui consiste à classer et analyser les conflits. Cela veut dire fondamentalement en circonscrire les caractéristiques pertinentes, puis sur cette base formuler l’hypothèse d’un sens possible. Par exemple, si l’on arrive à situer la réaction de l’autre dans la catégorie du besoin fondamental de reconnaissance, cela donne un autre sens à cette réaction, que sinon j’aurais sans doute qualifiée sans autre forme de procès de méchanceté ou d’égoïsme ; si l’hypothèse se vérifie, cette donnée sera un élément essentiel d’une future résolution du conflit.

Nous en arrivons ainsi au voyage retour, qui consiste à sortir autant que possible du conflit, plus précisément à le résoudre, ou du moins à ne pas le laisser devenir plus destructeur.

Alors qu’à l’aller nous avons rencontré des descriptions imagées et des concepts, au retour nous faisons connaissance, comme il est logique, avec différents « savoir-faire », « savoir-dire » ou finalement « savoir-être » utiles pour la résolution du conflit : un état d’esprit positif, la négociation avec autrui et avec soi-même, le développement personnel pour dépasser les limitations chroniques inutiles (ce que les analystes transactionnels appellent le scénario), enfin les stratégies pour sortir des conflits de pouvoir. La réflexion créative et précise de l’auteur sur les transactions, détaillée dans son ouvrage précédent[1], ouvre ici un espace particulièrement vaste de possibilités adaptées à la diversité des situations. Sans illusion magique, car tout n’est pas pour autant gagné d’avance, et c’est pourquoi l’auteur suggère quelques types de réactions au cas où l’autre s’obstinerait ou s’enferrerait dans le conflit…

Au retour de ce voyage, après nous avoir accompagnés dans l’exploration du conflit et de ses modes de résolution, l’auteur tire profit de ce que nous avons découvert en cours de route pour indiquer quelques manières de prévenir le conflit, autrement dit d’éviter de le provoquer ou de l’attiser. C’est un point d’orgue, comme un repos bien gagné après un itinéraire riche en découvertes et en apprentissages !

Puis-je terminer cette préface par une note plus personnelle ? Comme je n’appartiens pas à ceux que l’idée du conflit stimule spontanément, j’avais… un conflit en commençant cette lecture, mais je puis assurer le lecteur que pour moi ce voyage, par son intérêt et sa richesse, en a amplement valu la peine !

José Grégoire, enseignant et superviseur agréé en analyse transactionnelle (T.S.T.A.), spécialité psychothérapie.  


[1] Le GUERNIC, A., Etats du moi, transactions et communication, InterEditions.