Le film que j’ai vu le mardi 10 janvier 2012 commence par le rappel des mauvaises performances de l’école française : un système élitiste qui favorise les meilleurs, un nombre trop important d’élèves qui sortent du système sans diplôme. Un système toujours plus sélectif
Première scène : l’évaluation chronométrée des élèves d’une classe. Elle porte sur 25 exercices. Les consignes du ministère sont appliquées strictement : l’enseignante rappelle que c’est une évaluation individuelle : on ne s’occupe que de soi, on montre ce qu’on sait faire. Rappel du temps qui reste : deux minutes, un peu moins de 1 minute, 30 secondes, 5 secondes, stop !
Où sommes nous ? Au départ d’une course ? On sait en tous cas que c’est un conditionnement qui crée le stress.
Dans la deuxième scène, des élèves de 7 ans dans le Pas de Calais font du calcul mental. L’enseignant les fait réfléchir sur la méthode suivie pour obtenir le résultat. Si les séances de calcul servent à formater des individus capables de diviser un nombre par deux, où est le développement de l’intelligence demande-t-il. Il y croit, même si le temps manque bien souvent. Encore le temps ! Et les programmes ! On va trop vite. On sélectionne les individus remarquables. Au moins l’Institut de formation des maîtres donnait des clés aux futurs enseignants.
Commentaires de François Dubet et de Philippe Meirieu, assis dans la classe.
Le premier rappelle que l’école permet aux enfants d’apprendre à vivre en société. Il évoque le vivre ensemble utile à la société.
Le second dit que ceux qui peuvent réfléchir à la maison avec leurs parents réussissent à l’école mais pas grâce à l’école.
Les parents font une deuxième journée de travail pour que leurs enfants restent en tête. Il y a beaucoup de devoirs dès le CE2. L’évaluation va de « en cours d’acquisition », à moyen, bien, très bien jusqu’à excellent. Le modèle idéologique du système français n’est pas compétitif car il recèle une contradiction : formellement, l’école est l’école de tous mais les pratiques sont complètement sélectives, y compris celles des parents.
Une scène familiale illustre ce point : puisque la musique est comptée dans les notes, le père pousse son fils à perfectionner sa pratique musicale. Il n’est pas question de faire de la musique pour son plaisir, il s’agit aussi de ramener des bonnes notes. Les enfants le font parce qu’on le leur demande.
Les parents tiennent donc un discours ambivalent : ils veulent que leurs enfants s’expriment (logique expressive développée depuis 1968) et ils poussent à la compétition.
On revient au problème de l’évaluation qui augmente le stress de tous : enfants, parents , enseignants. Les programmes de 2008 demandent de l’efficacité à des enfants qui ont encore besoin de manipuler : les bons n’ont pas de problème pour intégrer que le kilogramme, c’est mille fois le gramme, mais la plupart des enfants ont besoin de plus de temps pour construire ces notions. Ce temps on ne le leur donne pas.
Une nouvelle scène montre un échange entre une enseignante et une mère d’élève qui commente les résultats de l’évaluation de son enfant. Il y a , dit-elle, des choses que je pensais acquises (écrire les nombres du plus petit au plus grand) . Il y a beaucoup trop de choses à assimiler. On est en train de nous démontrer que l’échec scolaire est inévitable si les parents ne s’y mettent pas. Elle évoque la comparaison avec les autres pays qui réussissent mieux et demandent pourquoi nous sommes inférieurs alors qu’on bosse. Elle fait référence à l’enquête PISA qui a mesuré les résultats en lecture, en maths et en sciences et constaté qu’entre 2000 et 2009 la capacité de lecture des petits français s’était dégradée.
Quel remède a-t-on choisi ? Le contraire de ce que font les autres : avancer l’apprentissage de la lecture en le commençant en maternelle, à l’âge de 5 ans, alors qu’ailleurs on le commence à 7 ans !
Nous voici dans une classe de grande section de maternelle. On y voit des enfants soumis à des apprentissages traditionnels en forme de réflexes qui travaillent 8 heures par jour, le plus souvent sur des fiches, à copier des modèles. Ces fiches sont faussement ludiques. On manipule du papier pour apprendre à compter (or les images d’objets ne sont pas des objets qu’on peut manipuler ; seuls ceux qui ont déjà commencé à développer leur capacité d’abstraction peuvent faire l’exercice). Finies les manipulations, fini le jeu, les activités créatives !
La réalisatrice s’interroge sur les causes de la survalorisation de l’évaluation avec toutes ses conséquences. En France, c’est le niveau de diplôme qui détermine l’emploi. Les parents qui espèrent que leur enfant aura un bon emploi plus tard investissent dans les résultats scolaires, partout, y compris dans les banlieues. L’école est entrée à la maison. Les enfants ont le droit de jouer à condition d’apprendre.
Le marché de l’angoisse scolaire ne s’est jamais si bien porté. Quand on vous dit que d’autres enfants sont plus avancés, vous comprenez que le vôtre est en retard et vous avez la boule au ventre.
Une séquence d’écriture en Grande section est présentée : il s’agit de suivre les pointillés sur une feuille en écriture attachée. L’enseignante dit « Vous avez tous un cerveau, vous pouvez tous vous en servir ! ». Or le cerveau de l’enfant se développe progressivement ?
François Dubet remarque : Chacun ayant intégré la dureté de la compétition scolaire, on la commence de plus en plus tôt. Le risque, souligne un psychiatre sollicité pour donner son avis, est la perte de confiance en soi. L’important est de s’intéresser aux raisons pour lesquelles on a raté.
Les parents requièrent les services d’orthophonistes quand leurs enfants sont perçus comme trop lents ou bloqués. On multiplie les difficultés sans se rendre compte que c’est trop tôt. Ignorance du développement du corps de l’enfant et des possibilités de son cerveau ? Probablement, mais elle est inexcusable. Ignorance aussi des différences dans le rythme de développement d’un enfant à l’autre.
Philippe Meirieu : notre société ne se donne pas de projet scolaire. D’autres pays comme la Finlande se sont arrêtés un jour, ont réfléchi et ont fait des choix. Leur but : un minimum de stress pour un maximum de résultats.
On énumère ces choix sur fond d’images d’écoliers dans leur école :
- apprentissage de la lecture à 7 ans
- le plaisir de lire découvert à l’heure de la sieste
- travail en équipe
- circulation d’une classe à l’autre
- pas de station assise de plus de 30 minutes
- beaucoup de jeux pour apprendre de langage et les mathématiques
- exercices de motricité fine (par exemple du crochet y compris pour les garçons)
- pas de notation avant 12 ans
- on ne trie pas les élèves
- les enseignants sont formés au même niveau que des médecins et des ingénieurs
- ce n’est pas le programme qui compte
- les maîtres doivent s’adapter à la diversité des élèves
- travail en petits groupes car on travaille mieux qu’en classe entière, on individualise la pédagogie
- on diversifie les exercices : 8 exercices différents pour les 25 élèves alors que chez nous on donne un exercice pour tout le monde, tant pis pour ceux qui ne savent pas faire !
- une place particulière pour les immigrés à qui on donne un enseignement dans leur langue et 6 heures d’enseignement en finnois pour le soutien.
- Tous les enfants peuvent bénéficier d’un soutien sur le temps scolaire. Il est assuré par un enseignant formé pour cela qui reçoit dans un local à part .
En France, on ne parvient pas à aider efficacement les plus faibles ; le milieu social détermine la réussite scolaire. Ces élèves arrivent en CM2 à bout de souffle. Ils étaient déjà en difficulté au CP. L’aide spécialisée qui les avait en charge est en voie de disparition suite à des choix budgétaires. Elle était assurée par des professionnels expérimentés, spécialement formés. Elle est remplacée par un service assuré par les enseignants de la classe à l’heure du déjeuner. 4 ou 5 élèves retravaillent des notions qu’ils n’ont pas bien intégrées, comme en grammaire la notion de nature et de fonction. L’aide individualisée revient à faire toujours plus d’exercices : avec l’enseignant en classe, le soir à la maison, dans les locaux des écoles de rattrapage et même en stages de remise à niveau pendant les vacances. Or le problème n’est pas là. François Dubet a une phrase très dure à propos de ce soutien individualisé : « A côté de l’hôpital qui ne parvient pas à soigner les malades, on soigne des enfants qui sont devenus malades à cause de l’hôpital ».
La réalisatrice donne alors la parole à une mère qui a refusé l’aide personnalisée et a fait des choix privés : elle va de graphothérapeute en psychomotricienne, de cours à domicile en suivi par un coach sur internet. Suite aux évaluations de janvier elle a reçu de l’inspection académique une lettre lui conseillant d’inscrire sa fille à un stage de remise à niveau.
La France est le premier marché européen du soutien scolaire. C’est l’aveu d’impuissance d’un système à bout de souffle dans lequel chacun se débat.
La discussion qui suit tourne en rond, faute de commentateurs connaissant de l’intérieur les problèmes rencontrés. Or beaucoup de questions se posent :
- comment les enfants vivent-ils la situation?
- Quel est le but principal de l’école (lire, écrire, compter, mais peut-être aussi parler)?
- Qu’est ce qui peut donner sens à un projet d’école?
- Pourquoi le système permet-il aux enseignants de se débarrasser sur les parents du soin de faire intégrer aux enfants les connaissances qu’ils sont chargés de leur transmettre.
L’ émission Service Public sur France Inter le 18 janvier qui évoque le problème des devoirs à la maison donne des éléments de compréhension de ce problème. Vous trouverez aussi des réponses dans mon dernier livre : « Un élève est aussi un enfant « , publié chez Interéditions, dont les idées sont assez proches du projet réalisé par les finlandais!