Si vous avez remarqué que vos interlocuteurs vous coupaient souvent la parole, si bien que vous hésitez à intervenir et préférez garder le silence en réunion, je vous propose une analyse de ce type de piège et des solutions pour faire évoluer la situation à votre avantage.
Dites vous bien d’abord que vous n’êtes pas seul(e) concerné(e). C’est très fréquent. On a affaire à une situation de compétition où quand l’un affirme quelque chose, l’autre lui envoie en sous entendu le message : « je sais mieux que vous », disqualifiant son interlocuteur ou son interlocutrice.
Les femmes se plaignent que les hommes leur coupent très souvent la parole dans les réunions ou lors des débats à la télévision. C’est le rôle de l’animateur de veiller à ce que chacun puisse s’exprimer, mais sa tâche n’est pas toujours facile. Ce qui est intéressant c’est de constater que chez la plupart des hommes la réaction de se mettre en avant et de couper la parole aux femmes est automatique dès que l’on se trouve dans l’espace public. L’espace public est pour eux un espace réservé. Il leur semble naturel d’y intervenir et ne se posent pas de question sur leur légitimité, à l’inverse de beaucoup de femmes.
Quand on leur coupe la parole, ces dernières ont le choix entre escalader, entrant ouvertement en compétition, au risque d’être qualifiées d ‘agressives ou se taire, préférant passer pour stupides. Bref elles s’écrasent, se sentant écrasées.
Dans l’espace privé, c’est beaucoup moins le cas. Ce type d’échange est à la base de nombreuses disputes de couples : c’est à qui aura le dernier mot, la dernière flèche étant l’équivalent de : « Pourquoi tu parles, alors que tu n’y connais rien ? » C’est une disqualification de l’autre. Elle alimente les rancœurs sauf quand elle est formulée avec gentillesse sur le ton de l’humour. L’éducation des enfants est un bon sujet de disputes entre les couples.
Si donc vous êtes fatigué(e) de vous laisser écraser, voici comment faire : Apprenez que dans la communication interpersonnelle il y a deux niveaux : celui du contenu (ce dont on parle, par exemple de la place des femmes dans la société) et celui de la relation (quelle est la position de l’un par rapport à l’autre : haute, basse ou égale ? ). Quand une personne vous interrompt, elle vous dit en message caché : « Tais-toi, tu n’y connais rien ! » ou « Ce que j’ai à dire est plus important et ne peut attendre ». La plupart des hommes le font d’autant plus volontiers qu’ils ont la position haute dans la société. L’autorité est à eux et la tutelle a été jusqu’à il y a peu de temps le régime destiné aux femmes. Le pouvoir politique, économique et social est majoritairement aux mains de petits groupes composés d’hommes.
Si vous avez en face de vous un homme un peu macho, il y a des chances pour qu’il coupe systématiquement la parole aux femmes sans s’en rendre compte, ce que les américaines nomment « Manterrupting ». Il peut le faire aussi volontairement dans une stratégie de prise de contrôle et de pouvoir. Dans tous les cas il y a des choses à apprendre pour sortir du piège. Cela consiste à intervenir au niveau « méta », celui de la définition de la relation comme je l’ai expliqué dans mon premier livre d’analyse transactionnelle[1]. On verbalise ce que l’on comprend de la position de l’interlocuteur :
- Vous pensez que j’ai tort, que je ne connais pas la question, que je suis stupide, que je ne suis pas compétente, que je manque d’informations. ..
- Vous pensez que vous avez la vérité, que vous êtes mieux informé, que vous avez forcément raison…
- Vous m’interrompez parce que vous croyez être plus important que moi, savoir plus de choses, être omniscient…
Il se peut qu’alors il réponde « oui ». Dites alors : et bien je ne suis pas d’accord ! Mais il y a de grandes chances qu’il module sa position initiale. En effet ce genre d’intervention oblige l’autre à entendre ce qu’il a dit et lui fait prendre conscience de ses exagérations. On peut passer à une relation plus égale.
Vous pouvez aussi y aller plus fort et choisir l’escalade en disant :
- Ce que vous faites là en me coupant la parole est typique d’une attitude sexiste !
- Vous aimez dévaloriser les femmes ?
A vous de voir si vous tenez à ménager votre interlocuteur ou non. Face à un interlocuteur qui tient à montrer qu’il a le contrôle, vous pouvez laisser couler ou vous battre. L’intervention de type méta peut être soft ou dure. Si c’est votre choix vous avez intérêt à vous entrainer. L’analyse transactionnelle se prête bien à cet apprentissage.
Vous voilà armée désormais contre le « Manterrupting » comme l’appellent les américaines.
[1] Agnès Le Guernic : Etats du moi, transactions et communication, chez InterEditions, pages 45 et suivantes.
Merci Agnès pour cet éclairage intéressant. Et si l’on veut rester soft, quelles seraient les façons de s’affirmer en réunion ?
😀
Demander la parole fermement; éventuellement préciser le temps demandé et ne pas le dépasser. Une des plaies dans les réunions vient de la tendance à garder la parole pour ne rien dire. Quand on demande 3 minutes, 5 minutes et qu’on s’y tient on est plus crédible.Une stratégie intéressante consiste aussi à reformuler ce qui vient d’être dit et de donner ensuite son point de vue. Proposez moi un cas.Valoriser les positions, le processus de discussion. Il est difficile de généraliser.Pratiquer et décrire ce qu’on a fait apporte beaucoup.