Un problème de communication

 

En rentrant chez moi, je dépasse un couple sur le trottoir. La jeune fille disait d’un ton vif à son copain : « Si chaque fois que je te demande une clope, tu… ». Il a répondu : « Ce n’est pas ça ! C’est la manière ! »  Il avait mis le doigt sur ce qu’on appelle un problème de communication, la question de la manière.

 Il n’y a pas « une bonne manière », ça non !, mais il y a des manières de s’adresser aux autres qui sont plus acceptables ou plus judicieuses ou plus efficaces selon les circonstances.

Il y a surtout que nous avons chacun notre manière ou nos manières de nous adresser aux autres. Nous n’avons pas conscience de ce qu’elles sont, parce que nous faisons ce que nous savons faire, c’est à dire ce que nous avons appris à faire, enfants. Nous avons besoin d’un guide pour comprendre, pour décoder la communication, pour en parler et éventuellement la modifier en fonction des personnes et des circonstances.

Je vous propose deux manières d’analyser cette petite scène de la rue  en utilisant successivement les deux théories qui me sont familières.

La première théorie est celle de l’école de Palo-Alto.

Elle dérive de la théorie des systèmes. Elle nous enseigne que nous sommes tous dans la communication, entourés de signaux, envoyant nous-mêmes des informations autour de nous par nos gestes, nos paroles, nos mimiques ; que nous sommes obligés de communiquer, volontairement ou non ; que ces signaux ont un effet sur les autres. Nous les décodons de l’extérieur, mais nous n’avons pas conscience de ceux que nous envoyons.

Les théoriciens de l’école de Palo-Alto ont observé les comportements des gens à la manière des ethnologues étudiant les populations dites primitives ou des éthologues observant les animaux en groupe ou en couple, de l’extérieur, en cherchant des régularités dans leur communication. Leur point de vue est pragmatique : qu’est-ce qui fait que ce psychiatre en entretien avec ce client a réussi à entrer en contact avec lui alors que tous échouaient jusque là ? Comment ce commercial obtient-il d’aussi bons résultats ? Comment ce père et ce fils font-ils pour se quitter toujours fâchés ? Pour le comprendre, ils ont visionné et analysé des films d’entretiens, image par image. Ils se sont intéressés aussi à la communication animale pour élaborer leur théorie. Le résultat, c’est l’énoncé des cinq propriétés de la communication ; elles permettent de la décrire dans ses réussites et dans ses blocages.

Illustration :

La scène entre ces deux jeunes gens du début peut se décrire en termes précis : le jeune homme oppose le contenu de ce que dit son amie, qu’il accepte (la demande de cigarette) à la relation qu’elle induit par son ton rogue, sa brusquerie, l’expression de son visage. Cette relation, il la perçoit peut-être comme une pression. Elle prend la position haute, exige ; il n’est pas d’accord ! En le disant, il change de niveau : il parle de leur relation et peut se donner des chances de la transformer. C’est une méta communication sur leur relation.

Ces théoriciens ont en effet une théorie qui porte sur le changement, son caractère inévitable, ce qui le facilite et ce qui l’entrave. Communiquer sur ce qu’on dit est quelque chose qui aide à améliorer ses relations.

Le jeune homme montre une certaine souplesse, ce qui témoigne d’un fonctionnement sain. La pathologie serait d’ici d’être bloqué dans une position rigide. Ce serait le cas d’un homme voulant à tout prix garder la position haute, quitte à entrer dans un rapport de force allant jusqu’à la menace et la violence.

La deuxième approche est l’analyse transactionnelle.

Elle tire son nom du mot « transactions », c’est à dire des échanges entre les gens, ce qu’on donne et qu’on reçoit dans la communication. Mais le point de vue est différent. Les analystes transactionnels ne se limitent pas à observer et analyser les comportements. Ils traitent aussi de notre fonctionnement interne. Ils disent que nous avons tous besoin de stimulations et de contacts avec les autres personnes et décrivent finement ce que nous échangeons dans la communication, qu’ils nomment « signes de reconnaissance », les différents niveaux de la communication, entre ce qui est dit et ce qui est montré, la manière dont la communication se déroule tranquillement ou se coupe, avec coups de théâtre, effets spectaculaires ou insidieux. Ils décrivent les différentes sortes de relations que nous avons installées avec les autres sans nous en rendre compte depuis l’enfance et comment nous pouvons les modifier pour les rendre plus satisfaisantes. Ils pensent en effet que nous pouvons décider de notre vie et apprendre à fonctionner autrement.

La théorie de la communication de l’analyse transactionnelle permet de décrire ce qui se passe entre les personnes, de sortir des pièges où nous sommes parfois et elle offre une manière plus satisfaisante de gérer les relations au quotidien.

 Illustration :

La scène entre les deux jeunes gens peut être décrite en analyse transactionnelle comme une transaction entre eux : au niveau du discours, elle se plaint et au niveau du ton, elle fait des reproches. C’est le niveau du ton qui l’emporte. Les analystes transactionnels parleront d’un stimulus à double fond induisant un processus qui vise à mettre l’autre mal à l’aise. La réponse du jeune homme croise ce stimulus en se plaçant au plan de l’analyse de ce qui se passe et de ce qu’il constate. Il a un mot simple pour en parler : il oppose le contenu et la manière.

Ces deux théories se complètent et nous apportent un langage pour parler de ce qu’on sait mal décrire ainsi que des outils pour décoder ce qui se dit et se fait devant nous.

Nous sommes parfois des spectateurs cherchant à comprendre ce qui se joue devant nous : ces enfants qui se disputent, ce couple qui se satisfait d’une relation où chacun dévalorise sans cesse l’autre ; ces hommes politiques si haut dans les sondages , si bas ensuite, ces chefs si sûrs d’eux, inébranlables dans leurs discours jusqu’à la chute, mais aussi ces personnes qui mine de rien arrangent les disputes, négocient avec sécurité, se font respecter, s’opposent sans blesser, n’hésitent pas à reconnaître leurs erreurs et savent dire leurs sentiments sans façon[1].

Mai 2011

 



[1] Pour en savoir plus, voir Le Guernic : Etats du moi, transactions et communication. Savoir enfin que dire après avoir dit bonjour, InterEditions 2004, réédité en 2011.

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