Soumission des femmes : subie ou choisie ?
Dans son livre « On ne naît pas soumise, on le devient » la philosophe Manon Garcia met ses pas dans ceux de Simone de Beauvoir et pose la question de la soumission des femmes. Je vous propose quelques passages particulièrement intéressants à propos de la relation des femmes au pouvoir.
La soumission est-elle naturelle ou apprise ? Est-elle forcément subie ou ne peut-elle pas être aussi parfois choisie ? Car certaines femmes choisissent la soumission : Il y a de la soumission dans le fait de suivre la mode, de s’affamer pour entrer dans une taille 36 ou de prendre en charge l’intégralité de la charge mentale du foyer.
La domination est une relation
Marion Garcia préfère parler de soumission plutôt que de domination et renverser le point de vue sur le pouvoir. C’est un des points qui m’ont intéressée particulièrement, en complément de l’approche de l’analyste transactionnel Claude Steiner concernant les jeux de pouvoir.
A n’étudier les rapports asymétriques de pouvoir que sous l’angle de la domination, on se prive d’une compréhension globale des rapports de pouvoir, en particulier des rapports de pouvoir asymétriques puisqu’on ne les envisage que d’un seul point de vue, celui du dominant. Etudier la domination comme relation de pouvoir asymétrique nécessite d’interroger les deux extrémités du rapport de domination.
Du côté du dominant cela consiste à se demander comment fonctionne la domination pour celui qui l’exerce.
- Par exemple on peut se demander ce que cela fait de dominer ;
- On peut aussi s’interroger sur l’efficacité de la domination en étudiant comment on fait ;
- On peut aussi se demander ce que c’est que dominer, qui domine à un instant précis, pourquoi ces gens cherchent à dominer.
Mais la question toujours passée sous silence et cependant centrale dans l’analyse de la domination consiste à se demander comment fonctionne la domination pour celui sur qui elle s’exerce.
Analyser la domination c’est procéder à un retournement du regard, ne plus analyser les relations asymétriques depuis la simple perspective de celui qui les impose ou qui les crée, mais depuis la perspective de ceux et celles sur lesquels elles s’exercent. C’est faire l’hypothèse que comprendre la façon dont la relation fonctionne pour ceux qui l’exercent ne suffit pas à rendre compte de ce qui se passe pour ceux sur qui elle s’exerce. Ne pas se tromper sur le sens du verbe « s’exercer ».
La domination est une relation. On peut faire l’hypothèse que cette relation a un effet sur qui est dominé ou soumis et que celui-ci, n’est, contrairement à ce que la forme verbale laisse entendre, pas absolument passif dans ce processus.
Le cheminement original de Simone de Beauvoir :
Elle est dans une position qui lui permet de donner à voir la soumission et plus généralement l’expérience des femmes. Elle est une femme. Cette qualité est la première qui lui vient à l’esprit quand elle cherche à se définir. C’est pour pouvoir penser ce qu’elle est qu’elle écrit « Le deuxième sexe ».Elle considère que certaines femmes dont elle fait partie sont dans une situation singulière car elles sont femmes et en même temps elles n’ont jamais eu à éprouver leur féminité comme une gêne ou un obstacle » tant et si bien que d’un côté elles connaissent ce que signifie pour un être humain le fait d’être féminin » et d’un autre côté, elles ont face à cette question une forme de détachement qui leur permet d’espérer que leur attitude sera objective ». ; elles peuvent s’offrir le luxe de l’impartialité.
La vie ordinaire échappe souvent à la philosophie parce qu’elle semble trop médiocre pour que les philosophes s’y intéressent, mais aussi parce qu’ils sont par leur position sociale à l’abri de cet ordinaire. Les femmes voient certaines choses que les hommes ne voient pas en raison de la division genrée du travail domestique. Comme les femmes sont préposées au rangement et au nettoyage elles voient les chaussettes sales que les hommes ne remarquent même pas.
En tant que femme, Beauvoir fait apparaître la vie ordinaire dans toute sa complexité depuis les problèmes philosophiques que posent le ménage et la cuisine jusqu’aux enjeux que constituent la menstruation ou la puberté dans l’expérience du corps. Elle distingue chez elle et chez les femmes qui l’entourent les plaisirs du dévouement, de l’abdication. En tant qu’intellectuelle existentialiste pour qui la liberté est la valeur cardinale, elle est scandalisée par le spectacle de la soumission féminine.
Beauvoir propose une phénoménologie de l’expérience vécue de la soumission par toutes les femmes, à tous les âges, dans toutes les situations. Elle met en évidence le caractère généralisé et presqu’universel de la soumission féminine. Le monde dans lequel naissent les humains de sexe féminin est toujours déjà structuré par une norme de la féminité qui est une norme de soumission..
- Elle décrit la vie des femmes dans sa complexité ce qui n’avait jamais été fait.
- Elle la décrit telle qu’elles la vivent.
- Dans Le deuxième sexe, les femmes apparaissent comme une multiplicité de sujets.
Elle s’appuie sur les expériences faites en première personne et elle multiplie les sources de récits à la première personne.
La puberté vécue, du corps à la chair :
Devenir chair se produit pour la jeune fille à travers le choc terrible que constitue pour elle la prise de conscience qu’elle est regardée. Beauvoir cite une femme qui dit « jamais je n’oublierai le choc physique à me voir vue » A partir de la puberté, dans l’espace public, dans la rue mais aussi dans les interactions familiales la jeune fille va comprendre que son corps est sexualisé par le regard des hommes. Alors qu’elle n’attirait pas d’attention particulière elle va se voir vue, examinée, se voir désirée. Son corps est devenu quelque chose qui ne lui appartient plus, qui est non plus son corps à elle, mais un corps de femme c’est-à-dire dans le regard des hommes un objet de désir. Son corps n’est pas son corps mais ce qui la fait apparaître dans le monde comme une proie possible.
Le consentement à la soumission
Il a des causes politiques, sociales et économiques qui proviennent de la domination masculine mais il résulte aussi du plaisir pris à la soumission. Leur conformité aux attentes de l’oppresseur est bien plus largement rétribuée que pour les autres groupes opprimés. Les femmes qui se soumettent consentent à un destin qui leur est assigné à partir d’une sorte de calcul coût/bénéfices dans lequel les délices de la soumission pèsent lourd face aux risques de la liberté.
Dans la société patriarcale, les hommes et les femmes grandissent dans un monde organisé par des normes sociales de genre qui prescrivent aux hommes l’indépendance, le courage et aux femmes la sollicitude et la soumission. Plus que la consternante solidarité des agresseurs entre eux, le grand ennemi d’une entente égalitaire entre les sexes qu’il est important d’identifier en nous et chez les autres, c’est le consentement des femmes à leur propre soumission.
Qu’en dites-vous ?
Paris 15 juillet 2022