Les gens semblent croire que les harceleurs sexuels ont conscience du mal qu’ils font.
Dans le documentaire d’Olivier Pighetti qu’on pouvait voir sur France 5 le 3 janvier 2017, je l’ai à nouveau entendu dans la bouche d’une intervenante. Je ne suis pas sûre que ce soit toujours le cas. Je suis persuadée que les propos de dénigrement et les injures à caractère sexuel tels qu’en témoignent les femmes agressées reflètent exactement ce que pensent les hommes qui les profèrent sous le coup de la frustration. Je distingue en effet les propos qui relèvent de la méconnaissance, de ceux qui relèvent d’un jeu de pouvoir dans une recherche de domination.
En analyse transactionnelle, on distingue plusieurs niveaux de méconnaissance. Le premier est le plus grave : la méconnaissance du stimulus. En effet si on n’a pas conscience d’un fait, on ne peut avoir conscience du problème qu’il pose. Sans conscience d’un problème on ne fait rien pour le résoudre. Le harcèlement sexuel est dans notre société un grave problème. Il est important de le repérer et de le traiter.
Ce stimulus peut être interne (un ressenti par exemple) ou un fait externe : à la vue d’une jolie fille qui marche dans la rue, les réactions des hommes varient : indifférence, admiration, désir ou frustration parce qu’ils se disent : « elle n’est pas pour moi ». La frustration, sentiment désagréable, échappe le plus souvent à la conscience. En revanche tout un système de réactions automatiques fonctionne : les sifflets et les injures en font partie. Les auteurs peuvent méconnaître leur sens, leur importance et leur nocivité pour les femmes qui les subissent. On est là dans un deuxième niveau de méconnaissance, celui de l’importance du stimulus et de sa signification.
Je parle de méconnaissance quand il est question des analphabètes du sentiment qui ne sont pas en contact avec leurs émotions et ne savent pas les identifier ainsi que pour ceux qui manquent d’empathie et n’envisagent même pas les effets de leurs propos sur l’autre. Je parlerai de jeu de pouvoir s’il y a conscience de la douleur de l’autre et jouissance à l’idée de cette douleur.
Cette distinction est importante. Dans le cas de la méconnaissance beaucoup d’hommes sont concernés car beaucoup d’hommes ont été élevés dans un cadre familial où les femmes sont déclarées sans valeur, sauf peut-être la mère et les sœurs (et encore !). Les femmes dont la valeur est pesée en termes de désir qu’elles peuvent inspirer et qui sont inaccessibles pour des raisons diverses sont forcément des putains et des salopes. La frustration est inévitable pour ce genre d’hommes : ils mettent peut-être quelques femmes sur un piédestal, mais ils n’ont jamais appris à parler aux autres dans une relation égale. Persuadés d’être dans le vrai car c’est ce qu’ils ont appris dans leur famille, ils méconnaissent l’effet de leurs propos et de leurs gestes sur les femmes qu’ils rencontrent, effet qui va de l’humiliation et du dégoût à la peur ou au rejet violent.
Je pense que c’est ce qui pose problème à la justice quand c’est parole contre parole. Les magistrats attendent que le prévenu montre un minimum de conscience de la gravité de son geste. Or ils n’en ont pas conscience. Ils n’ont pas intégré cette loi-là ! Rien ne leur dit que c’est mal : ni leurs émotions qui obscurcissent la raison, ni leur système de valeurs (leur état du moi Parent) construit sous l’influence du milieu. Dans le cadre de référence le plus souvent patriarcal de ces hommes, les femmes sont telles que dans leurs insultes. Leur désir est condamné d’où la vigueur de la persécution.
Dans la rue, les femmes font celles qui n’entendent pas car elles ne veulent pas renoncer à se déplacer dans l’espace public. Il ne manquerait plus que cela !
Dans le cadre professionnel, la position hiérarchique assure généralement l’impunité au harceleur sexuel, l’entourage ne sachant pas ou ne voulant pas intervenir quand il est témoin de propos humiliants.
Il arrive aussi que les propos orduriers et les pressions sexuelles relèvent clairement d’un jeu de pouvoir. Dans ce cas, ils sont délibérés, systématiques, faits pour effrayer et détruire l’autre. Ils sont conscients.
La différence est la même qu’entre jeu psychologique et jeu de pouvoir. Le premier est une manière d’entrer en relation avec autrui apprise dans l’enfance et qui tourne mal pour soi, pour l’autre ou les deux. L’homme aux propos graveleux se fait rejeter et humilier à son tour. Il fait le vide autour de lui. Son image du monde est très négative. Pour changer, il faut un travail personnel qui paraît improbable mais que rendent parfois possible les surprises de la vie. Il y a des rachats parfois. .. Dans un jeu de pouvoir, on recherche la domination, soit depuis une position haute avec recherche de persécution de l’autre, soit depuis une position apparente de victime. Ce qui joue ici sera tantôt l’idée de la supériorité naturelle des hommes, dont les privilèges ne sont pas conscients pour eux, tantôt l’idée qu’ils sont victimes des femmes, ce sur quoi la littérature abonde.
Cette manière est plus facile à sanctionner car la dynamique de recherche de domination est plus visible.
On imagine le chemin à faire. Il passe par l’éducation des garçons et des filles dès l’école primaire. Si les garçons apprennent à parler à leurs camarades d’école, ils auront leur chance de construire un monde plus apaisé où l’on n’aura pas besoin d’en trainer certains devant les tribunaux pour les obliger à respecter les femmes et où ils auront la chance d’être plus heureux. Car elles ne renonceront pas à marcher dans la rue et à aller travailler.
J’aime beaucoup ta définition en deux phrases simples du jeu psychologique d’une part, du jeu de pouvoir de l’autre. : »une manière d’entrer en relation avec l’autre apprise dans l’enfance et qui tourne mal pour soi, pour l’autre ou pour les deux ». » Dans le jeu de pouvoir on recherche la domination (…) ». A travers l’AT tu analyses très finement le déni du harcèlement sexuel et c’est très intéressant! Odile
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