La comédie de Matthieu Delaporte et d’Alexandre de la Parellière, « Le prénom », nous offre une illustration du fonctionnement du système familial tel qu’il se prolonge parfois dans la vie d’adulte avec ses jeux psychologiques entre frères et sœurs au sein de la famille.
Ce film nous raconte un dîner familial rassemblant cinq personnages : Pierre, professeur de littérature à la Sorbonne, de gauche, sa femme Babou, institutrice. Ils reçoivent à dîner le jeune frère de Babou, Vincent, et sa femme, Anna, qui arrive très en retard comme toujours. Est invité aussi Claude, un ami d’enfance de la famille, musicien et confident de Babou.
Vincent annonce le prénom qu’il entend donner à son enfant, un garçon, prénom qui, comme prévu, scandalise Pierre et Babou et provoque de leur part une avalanche de protestations indignées. On comprend vite que les rencontres entre les camarades d’enfance sont régulières et que Babou fait toujours à manger son plat marocain dont les invités se sentent obligés de faire des compliments et que Babou profite de la présence d’invités pour obtenir des remarques favorables sur sa nouvelle coiffure, par exemple, de manière à prétendre ensuite que son mari ne lui en fait pas car il ne remarque jamais rien. Les échanges dérivent toujours de la même manière stéréotypée.On peut remarquer que les échanges consistent en dévalorisations de l’autre.
Chaque rencontre permet à chacun de rejouer son rôle institué il y a longtemps dans la famille : le petit dernier, idole de sa mère, qui a réussi et écrase les autres des preuves de sa réussite (il achète le vin le plus cher) ; la sœur dévouée qui se voit en lien familial, mais qui est dévalorisée par son mari , un copain d’enfance ; un autre copain du petit groupe, ami de la famille depuis l’enfance qui tient depuis le rôle de confident et d’allié naturel de Babou.
Le sujet de la dispute vient du choix avancé par le frère comme prénom pour son enfant : Adolphe. C’est un moyen pour lui pour faire en sorte que sa sœur et son beau-frère montent sur leurs grands chevaux, s’indignent et lui fassent la leçon. Eux-mêmes ont prénommé leurs enfants d’une manière que Vincent juge pédante et il le leur dit. La dispute donne lieu à un grand déballage qui s’aggrave encore par la découverte de la liaison de leur mère avec un homme plus jeune qui est justement leur ami d’enfance.
Dans ce film on a affaire aux membres d’une seule génération et on voit comment les relations frères-sœurs et les relations entre copains d’enfance peuvent se perpétuer sans grand changement : jalousie et exaspération vis à vis du petit dernier, chouchou de la maman et qui avait tous les droits et tous les privilèges qu’il conserve dans la vie d’adulte (réussite matérielle) ; la fille aînée, valorisée dans la mesure où elle se sent obligée de faire le lien entre les membres de sa famille en organisant des repas régulièrement , mais qui se sent dévalorisée socialement (elle n’est qu’institutrice alors que son mari enseigne à la Sorbonne, si bien que c’est toujours lui qui fait les discours et tient le premier rôle). L’ami d’enfance quasi adopté par les parents et qui a le statut de confident de tous mais apporte un vin qui coûte moins cher parce qu’il gagne moins bien sa vie que les autres, comme musicien. L’autre ami d’enfance est le mari de Babou. Enfin « la pièce rapportée », Anna, qui arrive très tard comme toujours, ce qui est mal perçu par l’hôtesse et qui assiste effarée au psychodrame familial et joue le rôle de l’observateur extérieur détaché.
Le spectateur s’amuse beaucoup des réparties et des ridicules des uns et des autres. Il peut souvent penser aux jeux psychologiques qui se déroulent dans sa propre famille ou dans une cour de récréation. Les membres de la famille contre toute raison continuent leurs relations sur le mode d’autrefois : Babou a Claude pour confident depuis toujours ; elle ne peut imaginer qu’il n’est pas amoureux d’elle en secret. « Sa mère qui est veuve, même si elle est charmante ne peut plus être dans la course de la séduction. Elle ne peut avoir pour amant un homme de l’âge de ses enfants ! » Le cinéma récent se plaît à nous décrire ce genre de situation, même si elles sont assez rares. Si nous sommes si choqués c’est que nous sommes prisonniers des représentations que nous avons de notre mère ou notre père. Elles ont été construites quand nous étions des petits enfants et elles restent associées à leur statut de parents.
Je suis frappée aussi de ce que montre le film : les gens ne se regardent plus ; ils fonctionnent comme s’ils se connaissaient par cœur. Ils n’ont pas idée qu’ils ont pu changer avec le temps et qu’ils sont devenus autres. On se demande s’ils se sont jamais connus vraiment !
Les jeux psychologiques sont des séries de séquences stéréotypées non conscientes où chacun passe d’un rôle psychologique à un autre : de celui de Victime à un rôle de Sauveur ou de Persécuteur ou l’inverse. C’est le cas de Babou qui est dévalorisée par son mari, sauve son ami Claude et persécute son mari en l’accusant de ne rien remarquer de son changement de coiffure. L’ami de tous les persécute tous en révélant son lien avec la mère de Babou et de Vincent. Vincent adore jouer aux jeux de compétition où il gagne toujours (il réussit financièrement, apporte le vin le plus cher, qu’il n’a même pas eu à payer car c’était le cadeau d’un client). Il provoque délibérément leur indignation en annonçant le prénom qu’il se propose de donner à son futur fils.
A chaque changement de place et de rôle psychologique, correspond un renversement d’alliance et un rebondissement de l’histoire. Les comédies avec leurs renversements de situations rapides se prêtent particulièrement à évoquer les jeux psychologiques.