Les transactions verrouillées

Elles sont utiles pour décrypter et résoudre les problèmes de communication dans la relation professionnelle.

Nous avons tous appris, dans notre enfance, à fonctionner avec les autres et nous reproduisons généralement sans en avoir jamais conscience le type d’interactions que nous avons mis en place depuis l’enfance. Nous n’avons donc pas éprouvé le besoin d’en chercher d’autres et nous ignorions même que c’était possible. Question de circonstances et d’environnement.

Certains sont plus à l’aise pour faire face aux agressions verbales et aux dévalorisations ; ils savent répliquer en attaquant à leur tour, mais sont dans la difficulté pour donner et accepter les compliments. Ou bien ils ne savent pas garder leur calme dans ces situations et porter leur attention sur le niveau caché de la relation Certains sont habiles à décrypter le non verbal et les sous entendus des échanges sans forcément savoir comment y répondre en situation de vulnérabilité. D’autres se cantonnent à une communication imprécise qui a l’avantage de laisser ouvertes toutes les portes. Ils sont coincés en cas de demande de précision et ont tendance à répondre à côté, ce qu’on appelle en AT « redéfinir ».

Dans la vie conjugale et familiale il est surprenant de constater les différents mécanismes relationnels : Qui prend l’initiative et qui suit ? Qui met l’autre en valeur ? Qui a toujours le mot pour critiquer ? Qui n’hésite pas à se saisir de la menace pour obtenir ce qu’il veut ? Qui préfère la séduction ? Qui de présente volontiers comme une victime ? Qui veut faire face à toutes les situations et propose son aide très volontiers ? Qui sait tout sur tout ? Il suffit que chacune de ces personnes ait trouvé une personne qui se place en complémentarité : plaindre et se faire plaindre ; critiquer et douter de soi ; séduire et ne pas résister à la séduction ; proposer des solutions et suivre l’autre ; pour que la relation s’installe dans la durée de cette manière. Alors chacun utilise un état du moi privilégié dans la relation avec l’autre, soit l’état du moi Parent, soit l’état du moi Enfant ; les échanges ne varient plus dans leur mécanisme et les transactions sont « verrouillées ».

Karpman, dans un article déjà ancien [1] présente le cas d’une femme que son mari critiquait sans cesse pour ses dépenses et qui tentait chaque fois de se justifier sans jamais être écoutée si bien qu’elle culpabilisait et le vivait très mal. Elle devait reproduire une relation avec un adulte qui, quand elle était enfant, lui faisait des reproches justifiés ou non et qui n’avait pas trouvé d’autre réponse que de pleurer et de demander pardon. Sa demande dans le groupe avait été de trouver comment faire pour se défendre et se faire entendre et respecter. C’est une demande fréquente qui ne vous étonnera pas.

La réponse est dans une autre question : comment font les autres dans un cas comme celui-là et plus généralement, comment font-ils dans les multiples cas de « transactions verrouillées » pour se dégager?

La question suivante sera : est-ce que cela peut s’apprendre ? En effet il n’y a aucune raison pour que ce qui se passe à la maison ne puisse se reproduire au travail. D’où l’intérêt d’examiner les différents mécanismes de blocage de la relation.

Comment ça se passe ? Les quatre mécanismes sous-jacents décrits en AT :

Une première observation : si les échanges sont verrouillés, c’est pour de bonnes raisons car la relation est complémentaire et chacun met de l’énergie de son côté pour la maintenir telle qu’elle. Le Parent a besoin de trouver face à lui un Enfant et l’Enfant un Parent. Les transactions (échanges de messages verbaux et non verbaux) peuvent être simples (pas de sous entendu, le sens correspond entre verbal et non verbal). Elles peuvent être à double fond (un message caché et un message apparent avec décalage entre le verbal et le non verbal ou sous entendus). Dans ce cas la réponse se fait spontanément au niveau psychologique caché.

Le premier mécanisme est celui de la relation de type symbiotique. Elle se manifeste par une sollicitude exagérée à l’égard de l’autre que l’on peut vivre comme infantilisante et des comportements encourageant le laisser faire et la passivité. On pense et on agit à la place de l’autre qui s’en remet à vous pour agir et penser. L’émetteur est dans son Parent et vise l’Enfant de l’autre.

En face on trouve la reconnaissance de son incapacité, l’attente de l’initiative de l’autre, l’abandon des responsabilités. En interne le sentiment de dévalorisation.

Dans le travail comme dans les relations personnelles on fonctionne sur l’implicite. La communication est pleine de trous. On ne sait jamais qui fait quoi, qui est responsable, comment on saura qu’on a atteint le but. En termes d’AT : l’un mobilise son Parent ; l’autre son Enfant et l’Adulte est contaminé c’est à dire sous investi. Sur les six états du moi des deux personnes, trois sont activés avec très peu d’Adulte de chaque côté. C’est le prolongement dans la vie adulte de la dépendance de l’enfance. On peut avoir un dialogue :

  • Je sais mieux que toi ce qu’il te faut
  • C’est vrai tu sais mieux que moi ce qu’il me faut.

Dans le mécanisme du parasitage, chacun est dans un registre convenu qui ne correspond pas à son ressenti profond. Les personnes cherchent à donner une image d’elles-mêmes qui ne correspond pas à leur réalité profonde : durant leur enfance elles ont été rejetées quand elles exprimaient des émotions qui n’étaient pas acceptées dans leur milieu de vie et se sont résignées à montrer des émotions et avoir des comportements qui leur permettaient d’être acceptées. N’étant pas reconnues pour ce qu’elles étaient, elles ne pouvaient être nourries dans la communication avec les autres. On pense aux comportements attendus des filles et des garçons, aux prescriptions religieuses, aux règles sociales. L’expression : « Ça ne se fait pas ! », le regard sévère ou qui se détourne sont les moyens utilisés pour censurer les émotions et les comportements de l’enfant.

La particularité est que pour obtenir suffisamment de signes de reconnaissance, les personnes en font de plus en plus et entrent dans un mécanisme destructeur. C’est à l’origine à mon avis du mécanisme de burn out. Dans ces situations, Fanita English recommande d’éviter de stroker le sentiment ou le comportement parasite reconnaissable au fait qu’une personne en fait trop : trop de courage avec refus du deuil, trop de travail sans prise en compte de la fatigue, trop d’efforts qui ne sont pas reconnus…Attente de signes de reconnaissance pour le Parent ou pour l’Enfant.

  • Dis-moi que j’ai raison d’être courageux, dévoué à l’entreprise, travailleuse à l’excès.
  • Et moi reconnais ma faiblesse, mon habileté à éviter les corvées, m capacité de plaire, mes astuces, …

Fanita English qui a décrit le phénomène de parasitage le situe avant le passage au jeu psychologique dans un enchainement où la rareté et la pénurie de signes de reconnaissance pousse la personne en détresse au passage à l’acte destructeur contre l’autre ou contre soi.

Dans le jeu psychologique en effet, il y a un moment où un coup de théâtre intervient et change la position de chacun dans le triangle dramatique. Dans le jeu, les rôles psychologiques sont au nombre de trois :

  • le Persécuteur qui sait tout mieux que vous et juge les autres,
  • le Sauveur qui s’occupe de vous comme si vous étiez incapable d’agir et de penser tout seul,
  • la Victime qui se sait vulnérable mais attend d’être guidée et prise en charge.

Ces rôles se retrouvent dans le monde professionnel. Au moment du coup de théâtre, chacun se retrouve avec ses bénéfices négatifs : le Persécuteur triomphe mais se retrouve seul, le Sauveur se voit reprocher ses attentions et ses efforts, la Victime d’abord triomphante se voit confirmer ses faiblesses. Le jeu psychologique nous fait retrouver notre position existentielle et renforce nos croyances sur nous mêmes, les autres et le monde. Quand les jeux sont trop nombreux, le climat de travail est conflictuel en permanence.

Le dernier mécanisme est le rapport de domination, très fréquent dans le milieu professionnel qui est hiérarchisé. L’objectif, c’est d’avoir le pouvoir. On l’obtient en faisant peur : menaces ou voies de faits, exercice de la force, manipulations et pressions physiques et morales. Claude Steiner a développé ce modèle, distinguant les manœuvres de pouvoir qui passent par les mots et celles qui passent par le corps et à l’intérieur de chaque catégorie celles qui sont grossières et celles qui sont subtiles passant presque inaperçues. Les jeux de pouvoir sont actifs avec action du Parent (pressions et dévalorisations) ou passifs et alors ils partent de l’Enfant : stratégie de résistance et de culpabilisation de l’autre comme font les enfants qui attirent l’attention dans les lieux publics pour faire honte à leurs parents et les amener à céder à leurs exigences. Le système fonctionne avec l’accord implicite de chacun.

Les relations de pouvoir peuvent être complémentaires ou compétitives (c’est à qui l’emportera sur l’autre ou à qui en fera le moins). Dans le second cas c’est tout le processus qui correspond à une relation verrouillée, pas seulement les transactions.

Deux personnes qui sont dans un rapport de domination et clairement de maltraitance sont dans une transaction verrouillée Parent-Enfant. Elle peut être relativement anodine (premier degré) mais aussi plus toxique (second degré) et même léthale, aboutissant au suicide ou au meurtre. Le modèle correspond aux situations de harcèlement.

Quand l’un des deux partenaires veut autre chose, que se passe –t-il ?

On a vu qu’il était nécessaire que chacun mette de l’énergie dans la relation pour qu’elle se maintienne. Que se passe –t-il si l’un cesse d’en mettre, suite à des événements favorables dans sa vie affective et familiale par exemple ou suite à une thérapie ? La relation perd de son intensité mais cela ne suffit pas à établir une relation plus saine. Il faut apprendre à se comporter autrement.

Karpman donne la clé.

  • Changer l’état du moi
  • Croiser la transaction,
  • Changer de sujet, trouver un autre sujet sur lequel on pourra échanger plus aisément.

Pour croiser une transaction, il faut soit utiliser un autre état du moi soit viser un autre état du moi. La personne bloquée dans son Parent devra mobiliser l’Adulte ou l’Enfant. Elle pourra aussi au lieu de critiquer par exemple l’Enfant de l’autre, viser son Adulte ou son Parent. A ceux qui sont habiles à utiliser les différents types d’états du moi, passer du Parent Normatif qui juge et critique au Parent Nourricier qui soutient et console est une autre option. La personne bloquée dans l’Enfant adapté soumis pourra se rebeller, ou blaguer (Enfant Libre) ou questionner le processus (Adulte).

Il s’agit donc d’élargir ses choix.

Comment apprend-on à le faire ? En regardant comment font les autres.

Dans la formation professionnelle on utilise les mises en situation pour préparer les stagiaires aux situations professionnelles qui les attendent. On utilise aussi l’observation. Les procédures de mise en place d’une simulation doublée d’une observation avec restitution méthodique de l’observation et échanges sur ce qu’on peut en déduire sont un bon moyen pour balayer les options comportementales. Pour apprendre la conduite de réunions, on peut demander à la moitié du groupe de simuler une réunion de direction que l’autre moitié observera. Les participants découvriront tout ce qu’on envoie et reçoit comme messages sans en avoir conscience. La conduite de ces observations requiert un certain nombre de règles : la bienveillance, la neutralité et la précision. Ceux qui jouent le jeu et se dévoilent doivent être remerciés pour leur cadeau fait au groupe.

Les jeux de rôle avec observation sont un autre moyen. Ils concernent les situations plus impliquantes. Ainsi la cliente de Karpman que son mari critiquait pour les dépenses du ménage qu’il jugeait toujours trop élevées a pu trouver une solution grâce à un jeu de rôles. Des membres du groupe de thérapie ont joué le dialogue avec son mari et proposé plusieurs répliques, puis d’autres à leur tour. A la fin, elle a dit celle qui lui plaisait. Pourquoi ça marche ? Parce que dans la communication comme ailleurs nous ne savons pas tous faire les mêmes choses. Il faut sans doute y ajouter un peu d’entraînement. On peut s’entraîner seul devant la glace, avec un ami ou une amie pour vous donner la réplique. On peut aussi s’inscrire à un cours de théâtre où l’on pratique les improvisations.

Quelques situations :

  • Une petite jeune arrive au bureau. Quelqu’un la prend sous son aile. Tout se passe bien jusqu’au moment où la petite jeune se rebelle et veut s’émanciper .
  • Un technicien fait des missions temporaires ici et là. Il se trouve souvent face à des chefs d’équipe autoritaires et jaloux de leurs prérogatives. Il a tendance à riposter et craint les conséquences sur son emploi.
  • Une commerciale sortie d’une école prestigieuse, mais qui ne reconnaît pas le travail de son équipe, attend toujours plus de compliments . Les autres se lassent de lui en faire mais la craignent.
  • La cliente de Karpman : Son mari l’accuse de trop dépenser et lui dit « Tu te prends pour madame « Tout l’or du Pérou » ?

En analysant les situations avec l’un des 4 modèles on pourra trouver des options pour déverrouiller les transactions.

[1] Stephen Karpman : Les 24 options

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