Lecture féministe N° 8
Pas envie ce soir de Jean-Claude Kaufmann
Doit-on dire quand on n’a pas envie ? Mettre en avant ses aspirations personnelles ? Au risque de décevoir le partenaire ou de gripper la mécanique conjugale ? On remet à plus tard une possible explication sur le sujet jusqu’au jour où ce que l’on vient de subir devient inacceptable.
Avec l’affaire Weinstein et le mouvement #MeToo/ #Balance ton porc, la prise de parole des femmes concernant la sexualité subie s’est généralisée et on a commencé à l’écouter. Du coup les femmes se sont davantage autorisées à s’exprimer, mais on n’a pas encore beaucoup entendu parler de ce qui se passe dans les familles. C’est le sujet qui intéresse le sociologue du couple Jean-Claude Kaufmann. Je vous propose ce que j’ai retenu de sa réflexion que je trouve très éclairante.
La libération de la parole des femmes au sujet des agressions sexuelles a provoqué un véritable séisme dans la société ; rien ne sera plus jamais comme avant. Un immense chantier a été ouvert qui n’est pas près de se refermer : celui de la réorganisation des relations amoureuses et de séduction entre les hommes et les femmes. Une réorganisation fondée sur le respect, l’écoute, l’ égalité, où la notion de consentement est centrale.
Jean-Claude Kaufmann aborde le consentement sous l’angle original du non-consentement qui ne serait pas si facile à exprimer qu’on veut bien le croire, à cause des divergences de désir entre les hommes et les femmes et de la signification de désamour que prend le non-désir quand il s’exprime clairement. Or il n’y a pas d’égalité des désirs, comme il l’a découvert suite à son appel à témoignages sur le net .
Le premier sujet qu’il aborde est cette divergence. Le stéréotype selon lequel l’homme adore le sexe et la femme adore l’amour reste d’actualité à tous les âges. Pour un homme la baisse du désir de sa femme est perçue comme un signe conjugal négatif, une preuve de désamour. Les hommes sont capables de séparer sexe et sentiments lors d’une rencontre avec une inconnue mais dans le couple qui dure c’est le contraire : sexe et sentiments sont liés.
L’auteur aborde aussi comme perturbateur du couple le nouvel idéal de rester pleinement soi tout en vivant à deux . Or on ne peut rester soi en ajoutant l’autre à sa vie sans qu’il dérange. Les routines rendent la vie plus facile. Mais elles créent l’ennui. Une opposition se manifeste entre le don de soi et la défense des intérêts et souhaits personnels. Dans une société fondée sur l’autonomie individuelle, tous les couples et toutes les familles sont travaillées par cette opposition.. On veut aller au-delà de soi pour aider le partenaire, pour lui faire plaisir mais pas trop quand même et pas toujours : l’épanouissement personnel ne saurait être systématiquement sacrifié.
La trajectoire du désir est étroitement corrélée à celle des engagements familiaux de la femme. Dans la phase ascendante, la sexualité tend à être marginalisée et tout un faisceau de facteurs (routines, agacements, laisser aller du mari) concourent d’autant plus à affaiblir le désir que les relations sexuelles passent désormais après. Puis quand cette réalité est bien établie, la tentation est grande de se retirer un peu de ce petit monde pour mettre en avant des aspirations personnelles.
L’auteur nous invite à nous interroger sur le désir lui-même. Sommes-nous égaux face aux modalités de son éclosion ? S’empare t-il soudain de nous ou devons nous mettre en scène les conditions de son éclosion ? Est-ce qu’il faut le provoquer ce désir ou est-ce qu’il vient tout seul ? Le désir masculin n’a pas l’air d’avoir besoin d’être stimulé par autre chose que la vue ou la pensée de la personne désirable. Il est ou il n’est pas… En plus il doit être suivi d’un passage à l’acte alors que le simple fait de sentir son excitation pour une femme est déjà une jouissance, qu’elle soit suivie ou non d’ébats amoureux.
Beaucoup de femmes pourraient dire pourquoi et comment leur désir doit trouver les conditions lui permettant de s’exprimer… Cela implique aussi que les femmes se forcent dans l’espoir de créer un peu ces conditions.
Beaucoup d’hommes continuent à ignorer non pas comment le désir vient aux femmes mais comment il vient à leur femme. Encore faut-il quelles le sachent elles-mêmes.
Les variations du désir féminin sont inscrites dans un cycle conjugal qui connaît un nouveau pic au moment de la rencontre d’un autre partenaire. Pour les hommes la variation la plus notable est celle d’une lente et progressive diminution de la libido avec le vieillissement. La rencontre d’une nouvelle partenaire ne provoque pas chez eux de séisme aussi violent que chez les femmes . Elles vivent avec intensité la renaissance de leur corps.
Le décryptage de la situation n’est pas simple pour les hommes : Plusieurs siècles de rituels de séduction nous ont légué un jeu de rôles : l’homme conquérant et la femme pudique qui résiste. Des traces en restent. Il faut donc que les hommes apprennent à écouter les signaux faibles et à les interpréter. Mais une majorité d’hommes reste convaincue qu’il est légitime de forcer un peu. Les habitudes qui se mettent en place peuvent maquer un vrai refus. Et quand l’homme continue à forcer un corps qui résiste il peut y avoir harcèlement ou viol sans qu’un mot ne soit prononcé.
La question du consentement est conjugalement explosive ; elle recouvre de lourds secrets.
Le couple est un système d’échange permanent de biens et de services de toute nature, générant satisfactions et insatisfactions le tout finissant pas s’équilibrer plus ou moins. Les femmes engagées corps et âme dans la vie de famille ont plus d’insatisfactions que les hommes et moins d’occasions de les exprimer au dehors