Je viens de lire « Qui a peur des vieilles ? » de Marie Charrel. Le titre comme la couverture choque volontairement. C’est que le sujet abordé : l’invisibilité des vieux en général et des vieilles en particulier est l’un des grands maux de notre société. On ne veut pas les voir. On les cache.
« Les femmes sorties de la période fertile sont aujourd’hui encore déconsidérées, invisibilisées, comme si leur valeur sociale diminuait en même temps que leur quantité d’oestrogènes ».
Depuis l’enfance et plus encore à partir de l’adolescence le corps des femmes est soumis à des injonctions paradoxales – sois sexy, mais pas trop, sois désirable mais pas aguicheuse – qu’elles ont largement intégrées. Tout au long de leur vie et des transformations du corps, les kilos en trop, la cellulite, les hanches larges, les bourrelets, les cuisses molles et les bras flasques sont une source de souffrance et d’obsessions névrotiques chez beaucoup d’entre elles ». Certes les hommes ont aussi des complexes. « Reste que les femmes portent un regard beaucoup plus dur et insistant sur leur propre corps ».
Comment les femmes qui sont sans cesse invitées à mettre leur corps en avant vivent-elles le vieillissement et la dévalorisation sociale qui en découle, qu’il s’agisse d’inspirer le désir ou d’obtenir un poste? Pourquoi les femmes mentent-elles plus que les hommes sur leur âge ? En 1970, Simone de Beauvoir décrivait déjà la vieillesse comme un fait culturel, pas seulement biologique, dont les conséquences sont très différentes pour les femmes et pour les hommes. Certes les hommes vieillissent aussi, mais leur valeur n’est pas connectée à leur apparence (encore que !), mais avec leur pouvoir.
Marie Charrel aborde la valorisation de la jeunesse, le rejet du corps qui vieillit, la tyrannie de l’apparence, mais aussi la force des vieilles, leur liberté, la transmission entre femmes et la revanche des vieilles avec le développement de la parité dans la vie politique. Elle accumule les témoignages, et y ajoute le sien. J’ai apprécié leur variété et leur abondance.
Elle conclut en se félicitant que le séisme #MeToo ait déplacé les lignes : « de plus en plus il est question du corps féminin. Les tabous tombent. Le prochain à briser sera celui sur le corps vieillissant…Observer comment notre société considère ses aînées, c’est mesurer le chemin qu’il reste à parcourir, tant nos normes et repésentations survalorisent de façon bien trop obsessionnelle la jeunesse. Pour combien de temps encore ? »
« La révolution commence en chacun et chacune. Aux hommes d’affirmer une masculinité plus libre, détachée des enjeux de statut, susceptible de s’épanouir dans des relations plus justes et équilibrées. Aux femmes, jeunes, moins jeunes, de ne plus compter les années avec l’angoisse du déclassement ».