Donner des permissions aux enfants : « l’heure du conte » à l’école maternelle

Ceci est la première partie de la conférence que j’ai donnée à Esslingen lors d’une journée organisée le 27 octobre 2012 par l’EATA et nos collègues allemands sur le thème : «  Le scénario et la contribution de l’Analyse Transactionnelle au développement sain des enfants et des adolescents ».  Toutes et tous les  CTAs, PTSTAs, TSTAs étaient invité/es!

L’enfant de trois ans qui entre à l’école maternelle se retrouve dans un groupe de 25 à 30 enfants de son âge. Ce groupe est animé par un enseignant qui est souvent une femme. Cette période est centrée sur la vie de groupe, l’apprentissage du langage et l’entraînement  à s’exprimer, la préparation du corps et de l’esprit aux apprentissages ultérieurs. Elle est particulièrement favorable à la prévention.

Parmi les pratiques qui nous intéressent, la lecture de contes traditionnels aux enfants :

Les contes qu’on lit aux jeunes enfants dans la famille ou à l’école maternelle appartiennent à la tradition orale. Ils ont été transmis de génération en génération, de conteur en conteur et ils ont été transcrits aux 17ème et 19ème siècles.

Les plus connus en France sont ceux de Perrault et de Grimm. Mais dans le monde entier, des savants ont collationné les contes de leur pays. Ces récits ont été transposés au cinéma, avec des déformations inévitables (voir les deux versions récentes de l’histoire de Blanche Neige). Les enfants vont les voir avec leurs parents.

Quel est l’intérêt des contes traditionnels pour les éducateurs ?

Prenons les trois approches des contes traditionnels :

  • Celle de la psychanalyse,
  • l’approche pédagogique inspirée du spécialiste des contes russes Vladimir Propp
  • l’approche scénarique des analystes transactionnels.

Bruno Bettelheim dans son ouvrage « Psychanalyse des contes de fées »[1] explique que les contes aident l’enfant à se comprendre et à trouver des solutions aux problèmes qui le préoccupent, mais qu’il ne faut jamais donner aux enfants leurs significations ni  faire de leur lecture une expérience didactique.

Ainsi le conte de Blanche Neige parle-t-il des difficultés pubertaires de l’enfant de sexe féminin, de la position de l’enfant à l’intérieur de la famille et de la rivalité mère/fille. Il s’adresse directement à l’inconscient des enfants.

Vladimir Propp[2], spécialiste des contes russes en a analysé la construction et dégagé des éléments répétitifs que l’on retrouve dans les récits que nous lisons et par extension les séries de la télévision et les films. La mise en évidence des éléments permanents d’un récit se prête à l’utilisation didactique.

Quand arrive en maternelle la séquence de  « l’heure du conte » et que l’enseignant lit un conte aux enfants qui sont assis tout autour de lui, il leur montre les illustrations du livre, mais il les fait aussi parler sur les personnages et réfléchir sur les situations. C’est un moment de langage (passage d’un niveau de langue à un autre,  du code écrit au code oral, intégration du sens des termes employés, compréhension des situations), mais aussi un moment de verbalisation des émotions : les enfants apprennent à mettre des mots sur ce qu’ils ressentent et entendent les autres exprimer aussi ce qu’ils ressentent.

 Une grande part peut aussi être faite à la réflexion et à l’intégration des normes sociales : valorisation de la persévérance, du courage, méfiance des méchants.

Les analystes transactionnels, Eric Berne le premier,  ont vu dans les contes traditionnels des modèles pour les scénario de vie, surtout dans leur aspect pathologique.

Stephen Karpman[3] a développé les concepts de « triangle dramatique » et de « rôles de scénario » : Persécuteur, Sauveur et Victime, à partir de l’analyse du « Petit Chaperon Rouge ». Les coups de théâtre correspondent aux rebondissements de l’histoire.

Fanita English a une vision positive des scénarios[4] : ils satisfont notre « soif de structure » et « aident au développement, de l’enfance à la vieillesse ». Elle souligne que « les histoires qui ont influencé nos scénarios donnaient souvent des modèles de courage, de persévérance, d’entraide ainsi que d’espérance dans l’avenir »[5].

Quand nous avions donc l’âge de ces petits de maternelle, les contes nous ont donné une trame pour imaginer nos scénarios de vie. Ils les orientent de manière positive car ils valorisent les qualités d’énergie et de courage et finissent toujours bien.

Parmi les séquences pédagogiques, « l’heure du conte » est donc le moment privilégié pour donner au groupe d’enfants des permissions concernant leur avenir.

En effet, les récits des contes concernent la vie. Les héros sont des personnes en position de faiblesse qui affrontent un destin où les périls et les réussites se succèdent. Les héros sont parfois des animaux qui sont plus sages que les humains. Ces récits contiennent aussi beaucoup de leçons importantes. L’enseignant peut donc s’appliquer à dépasser la leçon de langage et à en faire un moment de réflexion à l’occasion de laquelle il pourra donner aux enfants des permissions qu’ils ne reçoivent pas forcément à la maison.

J’ai choisi de commenter deux contes dont les héros sont pour le premier une fillette (la Blanche Neige des frères Grimm ) et pour le second un animal ( le Chat botté de Charles Perrault).

Que nous apprend le conte de Blanche Neige ?

C’est une histoire de pouvoir et de compétition féminine qui peut se lire à plusieurs niveaux. Il parle de la beauté comme source de pouvoir et plus secrètement des relations mère-fille.

Le contenu du récit : Une reine rêve d’un enfant à la beauté parfaite. La reine songea : « Oh ! si je pouvais avoir un enfant aussi blanc que la neige, aussi vermeil que le sang et aussi noir de cheveux que l’ébène de cette fenêtre ! »

Naissance de BN, « mais la reine mourut en la mettant au monde ».

Quels adultes autour de cet enfant ?

–       Un père absent,

–       une marâtre obsédée par son aspect physique qui ne se fie qu’à son miroir pour lui dire la vérité,

–       Le chasseur qui reçoit l’ordre de la tuer et la laisse s’échapper en pensant qu’elle mourra de toute façon,

–       les 7 nains qui la reçoivent et lui confient le soin du ménage, veillent sur elle et lui donnent des conseils qu’elle suit à moitié

–       le prince .

 Les épreuves : elles commencent quand elle a 7 ans.

–       La reine ayant interrogé son miroir apprend que BN la dépasse en beauté. Elle décide de la faire tuer par le chasseur dans la forêt.

–       Le chasseur l’épargne, laissant la faim, la soif ou les bêtes sauvages faire le travail. Il trompe la reine.

–       BN est sauvée en trouvant refuge dans la maison des 7 nains où tout est petit. Elle grandit chez eux en faisant leur ménage et en tenant leur maison.

–       La reine /sorcière apprend qu’elle vit encore. Elle la retrouve et par deux fois (le lacet, le peigne empoisonné) réussit  à la laisser pour morte.

–       BN échappe deux fois à la mort grâce à l’arrivée des nains qui la sauvent. Les nains l’avaient mise en garde, mais elle n’a pas su reconnaître le danger.

–       La troisième tentative de la sorcière réussit (la pomme empoisonnée).

–       Les nains mettent Blanche Neige dans un cercueil de verre et la gardent au sommet d’une montagne. Le temps passe sans changer sa beauté.

La fin : un prince qui s’est égaré dans la forêt la voit et s’éprend d’elle. Il la fait emporter. Lors du transport, un cahot fait sortir un morceau de la pomme empoisonnée qu’elle avait croquée, ce qui provoque son retour à la vie. Elle épouse le prince et la reine est châtiée.

 Les leçons du conte :

–       Au niveau psychologique, c’est le parcours d’une enfant qui devient fillette puis femme. Elle doit murir dans sa tête et pas seulement dans son corps. Elle est confrontée à la rivalité féminine et à la jalousie.

–       Le pouvoir de la beauté. C’est un pouvoir que partagent certains enfants. Les contes nous invitent à nous en méfier : être beau ou belle vaut d’être plus choyé, c’est un rêve, mais il peut se retourner et faire de vous une proie.

–       La question de l’identité cf « Sois belle et tais-toi ! ».  L’ attribution ne parle pas de la personne, mais de son apparence.

–       La survie , thème constant : L’enfant se sent souvent en danger et il l’est aussi.

–       Mieux vaut avoir des parents, même s’ils exercent des contraintes sur leurs enfants en les éduquant que d’être orpheline comme BN.

–       Apprendre à travailler (BN dans la maison des nains)

–       Tout finit bien : les épreuves ont une fin. BN trouve son prince et la reine est châtiée. La vie vaut la peine d’être vécue.

Les filles d’aujourd’hui aspirent à connaître l’amour, mais elles préfèrent changer une partie de l’histoire : voir les deux derniers films où BN se change en guerrière qui apprend à se battre à l’épée. Dans BN et le chasseur, elle devient Reine en son nom propre et pas comme épouse du prince.

Les émotions :

Le chagrin, la peur et même la terreur, la joie d’être à l’abri chez les nains, le plaisir, l’amour.

 Les permissions :

Il y a celles dont les héros auraient besoin et celles que l’on peut donner aux enfants à l’occasion de ce récit.

–       BN n’a pas la permission de penser: elle subit les épreuves, obéit aux ordres, mais ne réfléchit pas.

–       La marâtre n’a pas la permission de grandir (et de vieillir) car elle entre en rivalité avec une enfant.

–       Les enfants/élèves peuvent recevoir les permissions de vivre, de grandir, d’être soi-même, de sentir, d’être des enfants, de faire confiance, d’appartenir, de réfléchir, ce qui implique parfois de se méfier.

Que nous apprend le conte du Chat botté ?

Il nous apprend que le courage, l’entraide, l’inventivité et la persévérance peuvent changer notre  destin, même si au départ il  s’annonce mal.

Le récit :

Le vrai héros est un chat qui parle. Son maître est le fils cadet d’un meunier. A la mort du père, l’aîné a reçu le moulin, le deuxième l’âne et le cadet, le chat. Le cadet se plaint à son chat de l’héritage : une fois qu’il l’aura tué et mangé, il lui restera juste de quoi se faire un manchon. Le chat lui répond qu’il n’a qu’à lui faire confiance et à lui faire confectionner une paire de bottes pour aller chasser dans les fourrés. Son maître accepte.

Le chat botté se met à chasser, mais il n’apporte pas les proies qu’il a prises à son maître, mais au roi.  « C’est de la part du marquis de Carabas ! » fait-il dire au roi.  Le roi s’habitue à ces offrandes. Un jour qu’il va se promener avec sa fille au bord de la rivière, le chat  appelle au secours, car son maître, le marquis de Carabas, est en train de se noyer : des bandits l’ont attaqué et lui ont volé ses vêtements ! Ils sont en fait cachés sous une pierre. Le stratagème réussit. Le roi fait chercher de beaux vêtements pour le marquis, le fait monter dans le carrosse avec lui et sa fille et la promenade continue.

Le chat les précède et découvre les très belles propriétés d’un ogre très riche. Il obtient des moissonneurs qui y travaillent de dire au roi que toutes ces propriétés appartiennent au Marquis de Carabas.

Il entre enfin dans le château où l’ogre attend des invités. Il le flatte et le provoque en paraissant douter de sa capacité à se métamorphoser en très grosse, puis très petite bête. Il propose une transformation en lion. Aucun problème pour l’ogre. Le chat a juste le temps de se réfugier sur le haut d’une armoire. Le chat suggère alors un animal très petit, comme une souris. L’ogre se transforme en souris et le chat bondit et le mange.

On imagine la suite, la fortune du fils du meunier devenu Marquis de Carabas et qui épouse la princesse. Désormais, le chat ne chasse plus les souris que pour son plaisir.

Les leçons du conte :

 – On retrouve le thème de la survie, des parents défaillants (ici le meunier laisse ses enfants orphelins).

– Le faible n’est pas toujours celui qu’on croit.

– Le chat est un héros gagnant : il réfléchit en véritable stratège et s’adapte aux circonstances. Il a la permission de penser et d’agir.

– Cela suppose de dépasser la frustration (les lapins sont offerts au roi).

– Il faut travailler, ensuite vient la récompense.

– Les puissants (l’ogre, le roi) sont orgueilleux ; on peut les tromper ;

– Un beau garçon sans les vêtements qui le distinguent socialement n’est pas différent d’un prince.  La beauté est une chance. Elle permet d’obtenir l’amour et la réussite sociale, symbolisée par le mariage avec la fille du roi.

Les permissions que le conte permet de donner :

Celle de réfléchir, d’agir, d’être optimiste, de contrôler sa peur, d’être un enfant (s’amuser et gagner), d’avoir du plaisir, de faire confiance.

Toute la gamme des émotions peut aussi être abordée. La lecture des contes est un bon support pour l’alphabétisation émotionnelle.

La question du mensonge peut aussi être abordée.


[1] Bruno Bettelheim : Psychanalyse des contes de fées, Editions Robert Laffont, 1976

[2] Vladimir Propp : Morphologie du conte, Le Seuil 1970 (première édition :1928, traduit en anglais en 1958).

[3] Stephen B. Karpman : Contes de fées et analyse dramatique du scénario, AAT N°9

[4] Fanita English : What shall I do tomorrow : reconceptualizing Transactional Analysis , in « TA after Eric Berne : Teachings and Practices of three TA Schools » Graham Barnes Editor, Harper’s Colleges Press, 1977

[5] Fanita English : Lettre ouverte à Agnès Le Guernic, sur le blog d’Agnès : analyste-transactionnelle.fr,  section Réflexions.

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