Lors de la conférence que j’ai faite à Esslingen sur la manière dont les analystes transactionnels peuvent aider les enfants à réussir à l’école, j’ai raconté comment l’injonction « Ne réussis pas », combinée aux drivers : Fais plaisir, Fais des efforts, Sois fort et Sois parfait aboutissait à des blocages spécifiques sur le chemin de la réalisation de ses projets :
- Les personnes sous l’influence d’un « Fais plaisir » n’ont pas de projet personnel car elles font passer les projets des autres avant les leurs ; le blocage passe par la suradaptation.
- celles qui sont sous l’influence d’un driver « Sois fort » ont été tellement dévalorisées qu’elles préfèrent rêver leurs projets. Elles s’arrêtent avant l’étape de mise en œuvre. Le blocage passe par le retrait.
- Celles qui sont sous l’influence d’un « Fais des efforts » mettent en œuvre le projet et le réalisent « presque » : résister est chez elles un automatisme de survie, une manière de lutter contre l’invasion par autrui de leur champ personnel. Le blocage passe par la résistance.
- Celles qui ont un « Sois parfait » ont dans leur enfance été poussées à la compétition : « Comment, tu n’es que deuxième ! ». Elles ne sont jamais satisfaites et ne peuvent se ressourcer en ressentant de la satisfaction. Le blocage passe par la compétition.
Gysa Jaoui[1] écrit en effet que c’est la satisfaction de la réussite qui rend possible de nouveaux projets et de nouvelles réussites.
Un des participants a attiré mon attention sur le fait que je ne parlais pas du driver « Dépêche-toi ». C’est que Gysa Jaoui n’en parle pas non plus. Mais voici ma réflexion sur la source d’échec spécifique que l’influence de ce driver entraine.
Le message qu’envoie ce driver est qu’il faut se dépêcher de tout faire et que ce qui n’est pas réalisé vite n’est pas bien.
- Il faut qu’au cours préparatoire les enfants sachent lire après trois mois. Et pourquoi pas avant d’arriver au CP ?
- Il faut entrer plus tôt à l’école et passer le bac avec au moins un an d’avance, si ce n’est deux.
- Il faut être le plus jeune partout : le plus jeune à réussir les grands concours, le premier ministre le plus jeune, le champion le plus jeune, le président le plus jeune.
Ainsi, la société envoie-t-elle un message qui dévalorise toute réussite qui ne se fait pas dans des délais réduits. C’est ainsi qu’elle rajoute de la compétition même là où cette compétition est cause d’échec et de dysfonctionnement. Les projets au long terme sont évacués ; tout ce qui se construit lentement est disqualifié. Rien ne peut être digéré ni intégré en profondeur. On n’a pas le temps ! On veut voir le résultat tout de suite. L’utilisation du web renforce cet état d’esprit. On trouve si vite une information ! Mais la création d’une pensée personnelle, l’élaboration d’une œuvre d’art, la constitution d’une méthode demandent du temps et de la disponibilité.
Le driver « Dépêche–toi », parce qu’il vient de la société toute entière, peut devenir source d’échec même pour une personne qui a la permission de réussir. C’est pourquoi à cette permission de réussir, il faut peut-être ajouter la permission de prendre son temps et celle de penser.
[1] Gysa Jaoui : Des étapes pour réussir, AAT juillet 1985 Vol. 9, N° 35